Comment accomplir pleinement sa nature humaine pour l’aider à monter la pente de son épanouissement optimal ? Une question qui devrait brûler les lèvres et les esprits qui décident d’emprunter le dédale sinistre du sens de l’existence. Une interrogation qui a excité les neurones d’illustres penseurs qui ont, d’une manière qui surprendrait l’individu du XXIe siècle, donné une place de premier choix au loisir.
Quand les vies sont soumises aux paradigmes issus des lois implacables du capitalisme, le loisir doit se contenter d’un statut négligeable, écrasé par le travail, la production de richesses qui exigent bien souvent qu’on le sacrifie. Une situation bien réelle et tangible, diagnostiquée par Max Weber ou Herbert Marcuse. Et c’est pourtant dans cette soumission aux valeurs des Temps modernes (par référence au film de Charlie Chaplin) qu’on perd notre humanité, en étant réduits à reproduire comme des machines, les mêmes gestes, qui ont assommé l’âme, pour la survie.
C’est ainsi que, dans la société athénienne, la liberté consistait à consacrer son temps aux loisirs, les tâches serviles étant alors l’apanage des esclaves. C’est en s’adonnant au loisir que l’être humain peut accéder à l’ « eudémonia » ou au bonheur selon Aristote. L’homme y trouve aussi l’éclosion de son potentiel intellectuel : c’est en puisant dans les loisirs, qui ne se limitent pas seulement à la détente, qu’on peut s’enrichir d’expériences spirituelles comme la contemplation, la philosophie ou l’art, des sentiers sûrs sur le chemin de la vertu.
Dans cette même lignée, le philosophe Bertrand Russell a écrit une Éloge de l’oisiveté (1932) qui déplore que le travail a monopolisé nos quotidiens, broyant le temps pour ne laisser que des miettes aux loisirs. C’est ainsi que furent aussi piétinées les qualités humaines telles que la créativité, les capacités intellectuelles ou sociales, qui se développent dans les moments d’évasion, ces instants précieux durant lesquels la batterie du bonheur (oui, on y revient) se recharge. Une utopie où la domination du travail est réduite pour libérer plus de temps pour les loisirs.
En grec, loisir se dit « skolé ». Et pour la petite histoire, le mot « école » dérive de ce vocable grec. Ce que les loisirs, et l’école selon beaucoup d’opinions, nous fournissent n’est d’aucune utilité dans la vie régentée par l’appât du gain, ce piège qui peut engloutir notre humanité, engendrant l’actuelle situation, celle du sommeil des valeurs. On a grandement besoin de l’inutile pour dépoussiérer notre dignité, la faculté de penser que le défaut de loisir a rendu malade.
Fenitra Ratefiarivony