Une vieille, très vieille, Chronique du 24 février 1998. En ce temps-là, je distinguais encore «Sans Complaisance» de la «Chronique de VANF». Lardonner («poursuivre de quolibets, mots piquants, sarcasmes») ici ; s’essayer à pontifier là : ubiquité à la longue fatigante que je tranchai en privilégiant la marque, le label, bref la signature. En ce temps-là, également, n’existaient pas encore Internet et Facebook, bref les réseaux dits sociaux, et l’article ci-dessous n’existe qu’en mode «archives écrites». Alors que, justement, ce texte m’a rattrapé, voilà une bonne occasion de le rendre «cloud-able». En ce temps-là, enfin, je n’étais pas encore marié et encore moins papa. Je parlais alors d’une cinquantaine que je pensais ne compter que dans une éternité. Finalement, cette éternité, je ne l’ai pas vue passer et ce n’est pas sans légère appréhension que le quinqua, que je suis devenu, s’apprête à relire «l’insoutenable légèreté» d’un même pas trentenaire. Bien sûr, vingt-six ans ont vu beaucoup des devenus septuagénaires se lever de table et laisser une chaise définitivement vide. Raison suffisante pour que je me dépêche de témoigner parce que «ny aina tsy mifametra».
Ils portent leur cinquantaine sans trop de complexes et même s’enorgueillissent de fort beaux restes, puisque «on ne peut pas être et avoir été».
Je les ai rencontrés au hasard de panneaux «Attention, une amitié peut en cacher une autre». Ils m’ont fait l’honneur de m’ouvrir leur cercle, à mon âge où il est de bon ton qu’un Malgache attende longtemps son tour de cheveux gris et d’embonpoint ventripotent. Ils me convient dans leur famille et, si les enfants peuvent être de mon âge, je suis bizarrement l’ami du Père.
Je ne leur donne du Monsieur ou du «Ingahy» que par dérision amicale, mais ils se doutent bien que mon tutoiement n’est jamais un «ialahy» irrévérencieux et que ma familiarité nonchalante sert de pudeur à un respect authentique. Eux me donnent du «ialahy» mais je sais qu’ils savent que je sais que ce paternalisme me range derechef parmi les «fanao ianao».
Des hommes qui auraient l’âge d’être mon Père. Seulement, ils ont choisi d’être mes amis. Les seuls amis masculins que je compte, parce que l’amitié de ma génération est au féminin pluriel, avec les exceptions déjà susceptibles qui confirment la règle.
On ne choisit pas sa famille et il faut se garder de se tromper d’ami. La famille peut se doubler de l’amitié, et ce n’est pas plus mal. Mais, les amis, qu’on est allé soi-même chercher, forment bientôt une autre famille dont on aura choisi et scrupuleusement adoubé chacun des membres.
La famille, celle qu’on reçoit en héritage de la généalogie paternelle ou du lignage maternel, on s’en accommode et, jusque dans la tombe, elle vient nous rappeler son existence. Mais l’autre famille, celle de notre composition personnelle, ne nous survit pas généralement. Les juristes diraient qu’elle est essentiellement intuitu personae et que la mort de l’une des parties au contrat sous seing intime signe le deuil de l’amitié.
Pas vraiment de droits de succession, ni de droits à la succession ; quelque fois un parrainage, sinon une cooptation. Cette amitié personnalisée se transmet sans doute parfois de père en fils, mais il revient, à coup sûr, aux nouveaux partenaires de réinventer les termes de chaque entente.
On choisit sa femme, on fait ses enfants et on trie ses amis quand, souvent, on subit une famille avec laquelle on ne partage guère plus qu’une communauté de sang.
L’oubli des étiquettes rigides, les plaisanteries grivoises, le machisme de bon aloi, les bouteilles pleines et debout, les verres vides et tristes, les poignées de main simples, les grandes tapes dans le dos et déjà l’appréhension du retour chez «Madame» car, dans le bruit des au-revoir, on entend le silence coupable des excuses conjugales.
Les mots qui précèdent sont simplement dédiés à tous ceux qui se sont reconnus. Et aux autres que les survivants auront reconnus pour tels.
P.S. Mot pour mot et sans un seul iota à renier. Il est curieux de voir, annoncés dans cette missive, posture et choix que j’allais mettre en pratique quelque vingt-et-un mois plus tard. «Le temps des intransigeances que suivront tant de concessions».
Nasolo-Valiavo Andriamihaja