Rôle de l'Enseignement Supérieur pour l'avènement de la décentralisation effective à Madagascar

Dr Justin Nathanaël Andrianaivoarimanga Enseignant-Formateur à l’ISCAM Business School 

Les bienfaits de la décentralisation pour la Nation ne sont plus à démontrer en termes d'autonomie locale, de meilleure responsabilité et de prise de décision plus proche des citoyens. La nécessité de la décentralisation effective à Madagascar fait l’unanimité. 

Toutes les parties prenantes de la gouvernance sont convaincues de son envergure dans le processus de développement du Pays, à l’instar des thèmes de propagande à chaque échéance électorale que ce soit nationale, territoriale ou communale. Cependant, force est de constater que Madagascar reste prisonnier d’une inertie en matière de décentralisation. Le Plan National pour la Décentralisation Emergeante fait état de moins de 02% de budget de l’Etat transféré aux Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) et un niveau de transfert de compétences aux CTD de 05% pour l’année 2023. Tout le monde parle de décentralisation, tout le monde en est convaincu mais le Pays reste dans un niveau de décentralisation plus que stationnaire.

Les causes racines de cette inertie de la décentralisation malagasy sont expliquées par les uns et par les autres par la défaillance dans la mise en oeuvre, les capacités administratives limitées, le manque de ressources financières et les inégalités régionales persistantes. A ceci s’ajoutent les problèmes transversaux tels que la corruption, le manque de participation citoyenne, l’insécurité et les conflits politiques locaux ainsi que les lacunes dans la coordination interinstitutionnelle. La difficulté de mesure des impacts de la décentralisation, des ajustements inadéquats et une incapacité à apporter des améliorations nécessaires empire la situation au bout du processus. Ces problèmes font déjà l’objet de nombre d’analyses et de solutions correctives à travers différentes politiques et stratégies nationales en matière de décentralisation. Les dernières en date sont la Lettre de Politique de Décentralisation Emergente (LPDE) validée par la loi n°2021-011 du 18 Août 2021 et le Plan National de Décentralisation Emergente (PNDE) qui a été validé aux Assises Nationales des 04 et 05 Juillet 2023. 

La réforme institutionnelle et juridique, la responsabilisation des CTD, l’autonomisation des CTD, la territorialisation des politiques publiques, la gouvernance locale et la participation citoyenne, le pilotage, la coordination et le suivi-évaluation de la mise en oeuvre ont été adjugés comme étant les composantes majeures de la stratégie de la décentralisation de la Grand Ile. Aborder le dilemme de la décentralisation à Madagascar sous un autre angle amène à noter la nécessité impérieuse de capital humain dans la mise en oeuvre la politique et des stratégies de décentralisation. L’analyse de cette problématique de ressources humaines de la décentralisation ne doit pas être juste soldée par les problèmes classiques de compétences des autorités locales et des membres des CTD. 

À ce niveau, ces problèmes peuvent se résoudre classiquement par la formation et le renforcement de capacité. De loin, les CTD ont besoin, pas seulement de leaders et d’acteurs qui sont compétents mais aussi et surtout des leaders et des acteurs locaux compétents qui sont engagés à rester de façon effective au sein de la communauté. En effet, la disponibilité éphémère de cadres compétents auprès de la communauté est loin d’apporter des impacts positifs en matière de décentralisation. Les cadres affectés en brousse et en milieu reculé argumentent leur refus d’y rester et exercer pour une longue durée par l’insécurité, la carence des services de base et des infrastructures d’accueil et la réticence communautaire. Pourtant, ces cadres sont indispensables pour amorcer et activer de façon soutenable processus de décentralisation effective.

Les leaders et les cadres devront être formés et préparés à faire face à ce contexte précaire pour que les CTD disposent et jouissent de manière pérenne leur compétence et leur expertise.

CTD et cadres pourront ainsi entreprendre ensemble et de façon continue la mise en oeuvre des stratégies de décentralisation effective. Dans cette optique, l’Enseignement Supérieur a unrôle capital à jouer pour ne pas seulement former les jeunes sur le plan académique mais aussi et surtout sur le plan psycho-éthique afin que ces derniers acceptent d’opérer en milieu rudimentaire, précaire voire critique après leur étude. Ici est question de résilience qui devrait se préparer et s’acquérir progressivement depuis le début du cursus académique. Ce sont de tels diplômés résilients qui peuvent rester vivre avec la communauté dans des conditions précaires et orchestrer avec elle de façon soutenable les solutions préconisées. 

Par la suite, la recherche appliquée, les améliorations continues, la formation et le programme de renforcement de capacité ainsi que l’accompagnement seraient à la portée des CTD.

Cette perspective interpelle l’Enseignement supérieur et ses parties prenantes, en l’occurrence les décideurs, le corps enseignant, le personnel administratif et technique, les parents et les étudiants eux-mêmes, à trouver, concevoir et mettre en oeuvre les voies et moyens afin de produire des cadres suffisamment résilients et qui sont capables de s’engager de manière pérenne au sein des communautés vivant dans la précarité. Ceci n’enlève rien aux rôles régaliens de l’Etat dans le processus de décentralisation que ce soit une décentralisation administrative, politique, fiscale, fonctionnelle, territoriale, par secteur, asymétrique, participative ou mixte.

Pour que la décentralisation devienne une réalité palpable à Madagascar, il est impératif de combiner les efforts de réforme institutionnelle, de renforcement des capacités administratives, d'allocation de ressources adéquates, de lutte contre la corruption et d'engagement continu des acteurs locaux avec une attention particulière accordée à la formation de ressources humaines résilientes par le biais de l'Enseignement Supérieur. Le but ultime est que les CTD disposent de nouvelle génération de cadres résilients qui ne fuient ni évitent les cadres de travail rudimentaire qui prévalent.

Dr. Justin Nathanaël Andrianaivoarimanga Enseignant-Formateur à l’ISCAM Business School

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