Manne liquide

Depuis que, selon les recherches paléontologiques, la vie a décidé de s’émanciper des océans, qui avaient l’exclusivité de la population végétale et animale pendant 4 milliards d’années, l’élément aquatique a, cependant, toujours su imposer sa présence indispensable et vitale. L’eau, qui constitue 65% de l’organisme humain, affirme sa nécessité quand elle se fait désirer quand s’aiguisent les symptômes de la défaillance du distributeur officiel de cette manne liquide. 

Thalès de Milet, inspiré par une intuition géniale qui lui a donné l’idée d’une spéculation sur les pressoirs à huile, a exprimé la place primordiale occupée par l’eau qui trône au sommet de la pyramide car elle est l’élément premier, d’où découlent toutes les formes de la vie. La vie qui, selon le présocratique Héraclite, emprunte le dynamisme de l’eau en étant dans un état d’impermanence car elle ne cesse de couler, emportée dans un mouvement infini sous le signe du changement et de l’inconstance. Et la pénurie d’eau qui surgit avec une cruelle intermittence, se présente ainsi comme une rupture douloureuse avec cet élément premier de notre essence. 

Alors que le réchauffement climatique fait vaciller la terrible épée de Damoclès au-dessus de notre planète, menacée par une concrétisation de ce qu’anticipe le film Waterworld (K. Reynolds, 1995)

dont l’intrigue a pour toile de fond un monde submergé par l’océan suite à la fonte des glaciers, raréfiant l’eau douce et potable, on vit un supplice de Tantale, ce héros mythique qui a été condamné, entre autres, à une soif éternelle, nargué par l’eau pourtant toujours à portée de sa vue. On a vu l’abondance de l’eau durant des mois diluviens mais elle ne s’invite pas aisément dans les ménages. 

Et c’est dans ces moments douloureux que la valeur de l’eau, longtemps ignorée au profit de vanités, émerge dans les consciences torturées par son absence. Sa valeur d’usage, son utilité selon les textes de Marx, peut s’éclairer, et la pollution des marchandises, inutiles mais auxquels on a donné une forte valeur d’échange, s’atténue pour révéler au grand jour ce véritable prix de l’eau qui a été sous-estimé. 

Reconnaître cette importance inestimable de l’eau n’a pas nécessité une situation extrême comme celle d’Arrakis, la planète désertique de Dune (F. Herbert, 1965) où la rareté de l’eau a fait d’elle une puissante monnaie d’échange et un précieux instrument de pouvoir. La disette temporaire devrait inoculer en nous, de manière permanente, cette grandeur de l’eau pour s’imposer et faire barrière à nos tendances qui meurtrissent la nature et l’élément liquide, précipitant ainsi sa fuite redoutée. 

Fenitra Ratefiarivony

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