La dernière semaine a commencé par la somptueuse messe annuelle qui sanctifie les œuvres cinématographiques estimées dignes de recevoir les consécrations les plus enviées. Et cette quatre-vingt-seizième cérémonie des Oscars a porté en apothéose le biopic sur Oppenheimer. Avec cette victoire de l’un des chefs-d’œuvre de Christopher Nolan, l’art a, à nouveau, fait une démonstration de sa capacité à transcender le tragique qui s’affirme comme source de jouissances esthétiques.
Nolan a hissé l’histoire du « père de la bombe atomique » jusqu’aux cimes de la montagne du septième art. Ayant atteint ce sommet, l’œuvre a récolté sept trophées, dont trois des cinq majeurs : les statuettes décernées au meilleur acteur, au meilleur réalisateur et au meilleur film. De multiples récompenses pour concrétiser la reconnaissance de la sensibilité poétique qui a été exaltée par cette représentation du degré intense d’horreur que peut susciter l’appréhension de la nature humaine.
Manipulé par le toucher de Midas de l’artiste, ce qui est effroyable s’affirme en tant que lieu d’épanouissement de la beauté, dans une sorte de transfiguration que seul le génie, au sens kantien du terme, peut produire. Comme dans ce film qui retrace l’itinéraire personnel et scientifique d’Oppenheimer qui aboutit à la naissance de l’arme terrible qui a ravagé Hiroshima et Nagasaki, scellant le destin du personnage principal, à jamais souillé par la culpabilité. Christopher Nolan a réussi le pari de toucher les esprits, comme Steven Spielberg avec son adaptation de La liste de Schindler.
Oppenheimer rejoint une liste enrichie par la longue histoire de l’art et où on trouve des œuvres monumentales, à l’instar de Guernica de Picasso qui a su « sublimer » le drame de la guerre ou le Requiem de Mozart qui provoque toujours un tourbillon émotionnel, auxquels on peut aussi adjoindre les poèmes qui ont puisé leur inspiration dans la cruauté de la vie dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Et d’autres œuvres immortelles qui ont su métamorphoser la tragédie de l’existence en ingrédient principal dans la production du Beau.
C’est ainsi qu’Oppenheimer, dans cette lignée, a rejoint ces monuments, qui ont émergé de la créativité humaine et qui ont su produire la catharsis, ce phénomène qui, selon les écrits d’Aristote, peut être salutaire aux émotions qui sont libérées et purifiées dans le plaisir paradoxal suscité par les représentations de ce que la perception ordinaire, routinière, verrait comme relevant de l’atroce. Et peut ainsi advenir la rencontre entre ce que Nietzsche désigne comme l’ordre apollinien et le chaos dionysiaque, une intégration d’une souffrance génératrice d’une force vitale.
Fenitra Ratefiarivony