Jules Ferry a donné son nom au Lycée de jeunes filles de Faravohitra. |
La fin du mois de juillet 1885 est marquée par un vif débat à la Chambre des députés française. Cette discussion houleuse est provoquée par un « projet de loi portant ouverture d’un crédit extraordinaire pour les dépenses occasionnées par les évènements de Madagascar ». Plus précisément, par la première guerre franco-merina de 1883-1885.
Le débat est assez long et donne lieu à plusieurs séances. Il faut surtout retenir l’intervention du 28 juillet de Jules Ferry, député républicain, ministre puis président du Conseil (1880-1881, 1883-1885) et celle du 30 juillet de Georges Clémenceau, chef de la gauche radicale qui combat la politique coloniale de Jules Ferry. L’objet de leur débat tourne surtout autour de la politique d’expansion coloniale française, plus exactement de celle pratiquée par M. de Brazza qui accomplit « son œuvre civilisatrice sans recourir à la force ».
En fait, le président du Conseil s’élève contre ce « travail d’apôtre ». Son argument se résume en des questions : « Qui peut dire qu’un jour, dans les établissements qu’il a formés (…) les populations noires, parfois corrompues, perverties par des aventuriers, par d’autres voyageurs, par d’autres explorateurs moins scrupuleux, moins paternels, moins épris des moyens de persuasion que notre illustre Brazza (…) n’attaqueront pas nos établissements ? Que ferez-vous alors ? Vous ferez ce que font tous les peuples civilisés (…) vous résisterez par la force et vous serez contraints d’imposer pour votre sécurité, votre protectorat à ces peuplades rebelles. »
Jules Ferry annonce alors le type de politique coloniale qu’il préconise : « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Une manière pour lui de réagir contre les clauses du traité de 1874- « que nous nous sommes engagés à faire respecter dans l’intérêt des nations européennes »- se refusant à ce que d’autres s’établissent en Tunisie, fassent la police à l’embouchure du Fleuve Rouge, se disputent les régions de l’Afrique orientale.
Pour le président du Conseil, la politique d’expansion coloniale qui conduit la France à Saigon et en Cochinchine sous l’Empire, plus tard en Tunisie et à Madagascar, s’inspire d’une vérité.
« Une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. » Et d’insister sur les étapes de l’Indochine, de Madagascar, de la Tunisie qui sont « nécessaires pour la sécurité de notre navigation ».
Jules Ferry termine son intervention en soulignant que « rayonner (…) en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, pour une grande nation c’est abdiquer ».
En revanche, Georges Clémenceau retient dans son intervention, les termes « races supérieures et leur droit sur les races inférieures ». Poussant plus loin sa critique de cette politique d’expansion coloniale, il stigmatise l’attitude qu’aura le gouvernement français dans ce but : il exercera « son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation ». Et d’ironiser : « J’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d‘une race inférieure à l’Allemand (…) »
Georges Clémenceau tient à rappeler que, depuis la Révolution, l’Histoire de France est une vivante protestation contre la puissance de la Force sur le Droit. « C’est le génie même de la race française que d’avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d’avoir compris que le problème de la civilisation était d’éliminer la violence des rapports des hommes entre eux, dans une même société, et de tendre à éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. » Le leader de la gauche accuse alors la colonisation en général : « Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation ? Je ne dis rien des vices que l’Européen apporte avec lui (…) »
Et de conclure : « Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. »
Pela Ravalitera