De l’eau en temps de choléra

J’ai grandi en buvant l’eau du robinet de la JIRAMA. L’ancienne appellation «EEM», Eau et Électricité de Madagascar, ne se retrouve plus (ou se retrouve encore) que sur les façades des «Tranon-jiro», dont elles sont la signature. Cette eau était limpide, cristalline, fraîche. Inodore et incolore, elle n’en était que meilleure. Elle était « si pure si nature » avant ses concurrentes eaux minérales embouteillées qui, alors, ne faisaient partie, ni du paysage ni du vocabulaire.

Aujourd’hui, cinquante ans après la nationalisation des Eaux et Électricité, l’eau du robinet est trouble, effervescente, suspecte. Les bouteilles d’eau minérale envahissent les rayons des supermarchés et encombrent les étagères domestiques. Le geste simple d’ouvrir le robinet et de s’y désaltérer s’est compliqué d’une succession de précautions : il faut la laisser se décanter, il faut la filtrer, il faut la bouillir.

Au Moyen-âge européen, les curés avaient inventé les bières d’abbaye qui étaient le plus sûr moyen de ne pas boire de l’eau croupie et d’échapper au choléra qui ravageait des populations entières. Sans doute pour les mêmes raisons, les Ntaolo malagasy avaient inventé le «ranonampango» ou «ranovola», cette décoction de la croûte grillée, «manitra», après cuisson du riz. 

Bière ou ranonampango, ce sera toujours infiniment plus rassurant que cette eau qui, de trouble, viendra d’ailleurs à manquer. Elle ne coule déjà plus aux robinets de nombreux quartiers de la Capitale, la ville la mieux équipée de tout Madagascar. 

En cette ère de mondialisation, l’économie d’échelle fait vraiment des miracles : comment est-ce possible qu’une « Eau de source de montagne d’Auvergne », après un voyage de 10.000 kilomètres, soit vendue (3200 Ariary) à peine plus chère que « Eau Vive d’Andranovelona » (3000 Ariary), dont les sources se trouvent à 50 km du premier supermarché ? En décembre 2023, « Natur’Eau » livrait gratuitement pour les résidents à proximité de son usine à Ikopa-Ambohimanambola : ce prix d’usine-là (1900 Ariary) me semble constituer l’écart minimal significatif et psychologique d’avec les eaux importées.

Laver soigneusement fruits et légumes, sa laver régulièrement les mains : je me demande comment souscrire aux recommandations d’hygiène contre le choléra sans eau, de l’eau immédiatement et banalement à disposition, de l’eau en abondance. Faute d’eau, des cendres : sommes-nous vraiment en 2024 ?

Sylvain Ranjalahy

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