Le pays a un gap de près de deux millions logements |
D’après une projection d’UN-Habitat, Madagascar pourrait compter, avant 2050, plus de personnes vivant en milieu urbain qu’en milieu rural. Un véritable renversement de tendance qui est en train de bouleverser le secteur du logement.
Depuis de nombreuses années maintenant, les villes du pays subissent un accroissement démographique important qui affaiblit au fil du temps leur capacité à offrir des logements adéquats à la population. Les autorités affirment être conscientes de ce changement ainsi que de la nécessité d’offrir un logement décent à chaque ménage. Les nouvelles constructions pullulent mais souvent au détriment des normes, de l’esthétique et de l’hygiène. Depuis des décennies, la question est ainsi régulièrement soulevée.
Des logements décents pour tous, c’est le leitmotiv des dirigeants successifs du pays, qui, il faut le reconnaître, n’ont pas toujours su mobiliser les moyens et les énergies nécessaires pour atteindre, du moins en partie, cet objectif. La question de la qualité et des normes pour l’habitat demeure un sujet de débat récurrent. Un groupe de maisons forme une ville. Mais un groupe de constructions insalubres constitue, malheureusement, un bidonville. Selon les derniers chiffres, plus de 70% de la population de Madagascar vivent dans des bidonvilles. Les principales villes du pays, dont la capitale, Antananarivo, au gré de l’exode rural, sont ainsi progressivement défigurées.
« Le moment est venu d’approfondir le débat et de proposer des solutions concrètes, pouvant être mises en œuvre à bref délai, dans ce domaine. Il ne suffit pas toujours de se limiter à faciliter les constructions, y compris illicites », soutient un architecte urbaniste qui a ouvert son cabinet dans les années 1990. Et notre interlocuteur d’ajouter que la nécessité de sauvegarder le patrimoine architectural des villes du pays est tout aussi incontournable. Le moment est ainsi venu de voir au-delà du simple droit reconnu à un toit. Lequel doit être à la fois agréable tout en s’inscrivant dans un ensemble cohérent.
Les décideurs publics ont lancé un ambitieux programme de nouvelles villes et de logements accessibles aux différentes catégories socio-économiques de la population. Mais l’offre est encore loin de suffire. « La question relative au logement constitue un grand défi pour la Grande île. Il s’agit de répondre aux besoins actuels et futurs dans un pays marqué par une forte croissance démographique, très vulnérable au changement climatique », a expliqué le secrétaire d’État en charge des Nouvelles villes et de l’habitat, Gérard Andriamanohisoa.
Des logements inabordables
Compte tenu du taux élevé de pauvreté, le logement formel est en grande partie inabordable pour un grand nombre de ménages malgaches. Ainsi, la faisabilité financière et l'offre de logements formels à Madagascar dépendent fortement de la performance économique. Aussi, l'offre de logements adéquats reste-t-elle extrêmement faible. En outre, environ 58% de la population n'ont pas accès à l'eau potable et près de la moitié des ménages vivent sans installations sanitaires. À savoir également que la conjoncture nouvelle fait que le taux d'inflation des coûts du logement ne cesse de grimper.
Selon les statistiques, Madagascar compte plus de six millions de ménages, soit une taille moyenne de 3,8 personnes dans les zones urbaines et 4,3 dans les zones rurales. La population urbaine représente plus de 20% de la population, dont plus de quatre millions vivent dans les grands centres urbains et 2,4 millions dans les centres urbains secondaires. Les bidonvilles sont caractéristiques des conditions de vie urbaines à Madagascar. Pour Antananarivo, les « habitations informelles » représentent plus de 60% des logements occupés. Dans les villes côtières comme Manakara, 75% des maisons habitées sont catégorisées « traditionnelles ». Une proportion que l’on retrouve dans de nombreuses localités comme Moramanga ou encore Ambositra.
Il existe trois typologies principales de maisons à Madagascar, à savoir la construction dure, la construction semi dure et les habitations construites à la manière
locale. Parmi les promoteurs de logements sociaux à Madagascar figurent la Société d’Équipement Immobilier de Madagascar et l’Agence Nationale d’Appui au Logement et à l’Habitat (ANALOGH). En 2016, cette dernière a annoncé un projet de construction de cinq cents logements sociaux par an, avec l'objectif de construire dix mille cinq cents logements au total. De son côté, l'État s'est engagé à construire plus de cinquante mille logements. Le secrétariat d’État en charge des Nouvelles villes et de l’habitat a mis en route un grand projet de logements sociaux un peu partout à travers le pays (Toamasina, Mahajanga, Fianarantsoa, Nosy Be…).
La réalisation de ces projets de logements sociaux se fera, en grande partie, selon un modèle de partenariat public-privé. Parmi les autres projets de logement, on peut citer le Programme d'assainissement des taudis entrepris par ONU-Habitat. L'objectif annoncé est de renforcer les capacités des principales parties prenantes communautaires, municipales et nationales en matière d'assainissement participatif des bidonvilles.
À savoir qu’un appartement comportant deux pièces dans la capitale est loué aujourd’hui entre 250 000 et 1 million d’ariary par mois, tandis qu'un appartement de trois chambres à coucher dans la même zone est loué entre 1,8 et 3 millions d’ariary par mois. Un appartement d'une chambre à coucher située dans une banlieue d’Antananarivo se loue entre 175 000 et 500 000 ariary par mois.
Un appartement de deux chambres à coucher dans la capitale peut coûter à partir de 90 millions d’ariary. Avec un prêt sur 15 ans à raison de 15% par an, les remboursements mensuels sur cette propriété seraient d’environ 1,2 million ariary, ce qui n’est à la portée que d’une petite partie de la population. L'inflation pour le logement et les services publics ménagers dans la capitale, Antananarivo, tourne autour de 4,5 % ces cinq dernières années.
Étant donné la faible capacité financière de la grande majorité de la population, il n'est pas surprenant que la plupart des projets résidentiels cible les ménages à revenu élevé et les expatriés. Les obstacles au nouveau développement du secteur de l’immobilier comprennent aussi le temps et le coût d'accès aux permis de construire et à l'enregistrement d'une propriété, ainsi que les lacunes du système d'administration foncière que les responsables s’efforcent cependant de surmonter.
Les programmes de logements sociaux se multiplient dans la régions |
Faciliter les procédures
En ce qui concerne l'enregistrement des biens immobiliers, le pays se classe 162e sur 190 pays selon une enquête de 2018. Il faut six procédures, cent jours et 9,1 % de la valeur de la propriété pour enregistrer une propriété dans le pays. De même, le processus d'obtention d'un permis de construire est également long et coûteux. Il faut seize procédures, cent quatre-vingt-cinq jours et près de 36,3 % du coût de la propriété pour obtenir un permis de construire à Madagascar.
Le secteur de la construction du pays se caractérise par un niveau élevé de non formalité, la plupart des micros et petites entreprises de construction du pays n'étant pas enregistrées. De nombreux entrepreneurs enregistrés collaborent avec leurs homologues non enregistrés, faisant appel à des sous-traitants informels pour de petits projets ou des tâches spécifiques. Depuis 2013, la contribution de l'industrie de la construction au PIB du pays a été en moyenne inférieure à 400 millions USD, soit moins de 4 % du PIB.
Madagascar doit, en outre, redoubler d’effort pour hausser la qualité de l'administration foncière. Sur un score possible de 30, Madagascar marque 8,5, juste en dessous de la moyenne de 8,8 pour l'Afrique subsaharienne. Le pays marque peu dans cet indicateur pour plusieurs raisons, notamment l'absence d'une base de données électronique permettant de vérifier les engagements (tels que les hypothèques et les restrictions), l'absence de registre contenant des données géospatiales sur les propriétés privées et l'absence d'une base de données nationale pour vérifier l'exactitude des documents d'identité.
Rappelons que la Grande île a hérité du régime foncier établi par l’administration coloniale et inspiré du Torrens Act australien. La terre est présumée appartenir à l'État, qui accorde des titres fonciers à ceux qui l’entretiennent ou la développent. Jusqu’en 1960, un système de preuve de propriété foncière était en vigueur. Par la suite, entre 1960 et 2005, l’État a maintenu le régime foncier colonial et l'insécurité foncière s'est généralisée. Un processus de réforme foncière a été lancé plus tard pour garantir les droits fonciers du plus grand nombre.
En 2015, une nouvelle lettre de politique foncière a exprimé la volonté des gouvernants d’aller au-delà des limites de la réforme de 2005. Cela a abouti notamment à la loi portant création des zones économiques spéciales. Les sociétés étrangères ne sont pas autorisées à posséder des terres à Madagascar, mais elles peuvent acquérir des terres par bail (contrats de location d'une durée de 99 ans). Mais les litiges fonciers demeurent nombreux et la part des ménages qui peuvent accéder à un logement décent reste faible. Sans oublier les nombreuses critiques formulées à l’endroit de la loi sur les ZES.
Habitat
Les entreprises prêtes à jouer le jeu
Le phénomène d'urbanisation change la donne en matière d'habitat |
L’amélioration des conditions de logement dans les zones urbaines est un besoin urgent et constitue une réelle opportunité de croissance pour les entreprises opérant dans la construction et l’immobilier. Les perspectives peuvent être qualifiées de positives.
Le secteur bancaire et celui de la microfinance ont également des possibilités de mieux adapter leurs produits pour répondre aux besoins de logements des personnes à faible revenu et des travailleurs non-salariés. Étant donné que le pays continue de faire face à des catastrophes naturelles, en particulier des cyclones, il existe également des opportunités pour des produits d'assurance innovants, capables de protéger les ménages (et leurs actifs) en cas de tels risques.
À noter qu’à Madagascar, le Salon International de l’Habitat (SIH) est devenu une sorte de baromètre de l’évolution du secteur. Selon les organisateurs de l’événement, il existe une réelle volonté des entreprises d’acter la relance et de profiter des opportunités offertes par le contexte actuel et à venir. « Il faut être en mesure de proposer des logements pour tous et pas seulement pour ceux qui en ont les moyens », ont-ils indiqué.
À l’occasion du SIH ou sur les réseaux sociaux, les offres ne sont pas rares. Terrains prêts à bâtir, appartements, villas, résidences sécurisées... Les familles souhaitant avoir leur propre toit ont un large choix si les moyens sont disponibles. « Le désir des familles malgaches d’être propriétaire ne s’est pas estompé au fur et à mesure des années. Au contraire ! Les constructions se multiplient d’année en année », a commenté, pour sa part, un journal local. Ainsi, en l’espace de quelques années, la consommation de ciment ne cesse de croitre à Madagascar. Et selon les prévisions, cette consommation pourrait de nouveau doubler à l’horizon 2030.
Dans ce contexte, la compétition s’intensifie entre les opérateurs pour proposer des produits adaptés. Certaines de ces entreprises misent notamment sur la mise en place par l’État du Fonds national pour le logement dans le dessein de dynamiser la construction de logements sociaux.
« En ce début de XXIe siècle, les effets conjugués de l’exode rural et de la natalité ont accru la démographie urbaine dans des proportions difficiles à prévoir une décennie auparavant. Selon la Banque mondiale, plus d’un tiers de la population malgache vit aujourd’hui en milieu urbain. Les villes de Madagascar subissent des mutations soudaines et profondes. La prolifération de l’habitat informel, les occupations illicites, l’inéluctable densification des quartiers populaires et l’amplification des inégalités sont autant de conséquences du déficit récurrent de logements à vocation sociale », constate pour sa part la société Immobilier Conseil.
VERBATIM
Gérard Andriamanohisoa, secrétaire d’État en charge des Nouvelles villes et de l’habitat
« Plus de la moitié de la population de la capitale est locataire si l’on se réfère aux chiffres publiés par l’Institut National de la Statistique (Instat). On sait également que 70 % des habitations ne suivent pas les normes et qu’un gap de sept cent mille logements est noté dans les grandes villes. C’est dire que le défi est de taille à Madagascar en matière de développement du secteur de l’habitat ».
Père Pedro Opeka, fondateur de l’Association Akamasoa
« Le besoin de logements à Madagascar est un problème crucial. Ce n’est plus un besoin mais une urgence capitale. Le logement n’est pas un privilège mais un droit dont toute famille doit bénéficier. Plus de quatre mille maisons ont été déjà construites pour les trente mille habitants recensés à l’Akamasoa. Et nous comptons continuer de construire des logements pour la population défavorisée grâce à l’appui de nos partenaires ».
LE SECTEUR DES LOGEMENTS EN CHIFFRES
L'express de Madagascar