Le consensus semble s’être fait pour désigner la disparition des cours d’Instruction civique, depuis les années 1970-1980, comme principale responsable de la dégénérescence morale de désormais plusieurs «générations perdues». À Ambohijatovo, bien que leurs livres soient sous la menace constante d’une cohabitation incongrue avec la graisse ou le feu des gargotes, les toujours possibles courts-circuits des branchements artisanaux pour l’électricité des salons de coiffure, ateliers de duplication de clés et échoppes de petite bureautique, c’est grâce aux bouquinistes (et les derniers qui s’obstinent tohatobaton’Ambondrona) que j’ai pu retrouver ce fascicule d’Instruction civique de 1968-1969, «premier d’une série conçue spécialement pour les classes du second degré de Madagascar».
S’adressant aux élèves de 6ème, il est l’oeuvre de F. Lejas, J. Ramamonjisoa et R. Rarijaona qui expliquent leur motivation : «L’évolution des groupes sociaux a entraîné celle des institutions qui sont devenues très complexes dans un État moderne. Le but de l’Instruction civique est d’observer ces institutions et de réfléchir à leur sujet. Le citoyen doit comprendre qu’elles répondent toutes à des besoins qui sont les siens et ceux de ses concitoyens. Il doit admettre qu’elles entrainent pour lui des obligations, voire même des sacrifices, qu’il doit accepter de bon gré».
En ces années 1968-1969, que j’arrondis à 1970, mon millésime personnel, Madagascar comptait 41 communes urbaines, 734 communes rurales ; la commune d’Antananarivo abritait 250.000 habitants et étalait ses 210 kilomètres d’égouts. Au 1er janvier 1968, 790.000 enfants malgaches étaient scolarisés, soit 52,6% de taux de scolarisation, bien en deçà des 75% recommandés par l’UNESCO en 1961.
On demeure songeur quant au niveau de connaissances générales d’un élève de 6ème, d’il y a cinquante ans, auquel ce trio de pédagogues n’hésitait pas à expliciter «le scrutin de liste à un tour, avec représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel et sans liste incomplète, tandis que la répartition des sièges se fait selon la règle du quotient électoral et du plus fort reste» (page 9). Je crois bien que c’est seulement en cours de Droit constitutionnel, vingt ans après l’édition de ce fascicule, mais surtout neuf ans après ma classe de sixième et cinq ans après mes années collège, que j’y ai été initié.
Le fonctionnement d’une Commune leur est exposé sans la moindre appréhension, n’étaient-ce de rares notes en bas de page. «Les pouvoirs de police du Maire qui ont pour objet d’assurer la sécurité, la tranquillité, la salubrité, la commodité de passage, le maintien de l’ordre, la lutte contre les fléaux et calamités publiques» (page 4), les «pouvoirs délibérants et les pouvoirs consultatifs» du Conseil municipal (page 11), le mode de calcul des «centimes additionnels» (page 44).
Leur était surtout inculqué un message fondamental : «le budget est l’acte écrit par lequel sont prévues à l’avance et autorisées chaque année, les recettes et les dépenses de la Commune, du 1er janvier au 31 décembre». Tandis qu’il faut aujourd’hui revenir indéfiniment sur le «fitia tsy mba hetra», les élèves de 1970 savaient que taxes sur les propriétés bâties et non bâties, taxes sur les loyers, taxes sur les chiens, taxes pour l’enlèvement des ordures, taxes sur les fêtes et spectacles, taxes sur les jeux, taxes sur les exhumations, taxes sur l’abattage des boeufs et des porcs, taxe sur le transport de viande, etc., servaient à financer les nombreuses obligations de la Commune à l’égard des habitants. Ce consentement à la taxe, même à celle «d’occupation du domaine public payée par les propriétaires de voitures sans garage», avait son pendant logique : «que la Commune ait à sa tête un Maire consciencieux et honnête, secondé par un Conseil municipal qui est en mesure de déterminer les besoins de la population, et en pouvoir de recruter des agents municipaux compétents» (page 48).
À cette époque, la «Carte Nationale d’Identité de Citoyen Malgache», s’appelait aussi «Kara-panondrom-pirenen’ny tompontany malagasy» (page 15). Je suis curieux de savoir comment les «mpampianatra» avaient expliqué ce concept de «tompontany», dans un contexte d’encore mixité scolaire avec les nombreux enfants de «zanatany» ou de «coopérants».
Quelles recommandations avaient également été faites à ces «mpampianatra» quand il fut question du «Fokon’olona, une très vieille institution malgache en Imerina» (page 19), «Fokon’olona, vieille institution de l’Imerina, a subsisté durant la période coloniale. Il a été étendu dans tout Madagascar» (page 22) : énonciation banale d’une lapalissade ?
(À suivre)
Nasolo-Valiavo Andriamihaja