Dans chaque famille, au moins un cochon

«Les Bastides Blanches, c’était une paroisse de cent cinquante habitants, perchée sur la proue de l’un des derniers contreforts du massif de l’Étoile, à deux lieues d’Aubagne...Parce qu’ils étaient assez satisfaits de leur sort, (les Bastidiens) ne descendaient à Aubagne que pour porter leurs légumes au marché. Ils bavardaient volontiers, et ne détestaient pas la «galéjade»... Mais tout en parlant de tout et de rien, ils respectaient rigoureusement la première règle de la morale bastidienne. «On ne s’occupe pas des affaires des autres». 

Bienvenue dans «L’eau des collines» de Marcel Pagnol : «Jean de Florette» et «Manon des sources», lus et relus, tant de fois, mais toujours avec le même plaisir. Et comme les galéjades sont archiconnues, il faut bien inventer d’autres pistes à explorer. 

Cette fois, j’ai choisi la récurrence du cochon, et ses produits dérivés (lard, saucisson, saucisse, boudin) dans la cuisine provençale. 

(Les Bastidiens) étaient pauvres d’argent. Ils payaient le pain avec du blé ou des légumes, et en échange de trois ou quatre côtelettes, ils donnaient au boucher une poule, un lapin ou quelques bouteilles de vin. Ils vivaient de leurs légumes, du lait de leurs chèvres, du cochon maigre que l’on tuait chaque année, de quelques poules et surtout du gibier qu’ils braconnaient dans l’immensité des collines.

Qu’il s’agisse Amélie d’Angèle qui «mangeait sans cesse du pain avec du saucisson, ou des figues, ou du boudin froid, tout en marchant dans la rue» ; des boy-sc outs et des campeurs qui flambaient «sous la côtelette du dimanche» les crépitantes brindilles qui allaient ravager la pinède méditerranéenne ; d’Ugolin offrant à Pique-Bouffigue «la moitié d’une miche et un petit cylindre de saucisson» ; de Claudius qui a donné un mètre de boudin au Papet ; de «Monsieur Jean» cassant la croûte sur les déblais de son puits (un vrai repas : des oeufs durs, des anchois, des charcuteries, d’épaisses tranches de pain, et un grand verre de vin rouge) ; ou des Piémontais rapportant à la veuve et à l’orpheline «un gros paquet dont le rude papier jaune, où brillaient de très petites étoiles de paille, enveloppait une douzaine de côtelettes : ces gens sympathiques dégustaient quotidiennement de la viande de cochon. 

En ces temps (1963) où le saucisson n’avait de noblesse que «pur porc», et certainement pas de soja ou de volaille encore moins halal, au grand banquet du mariage de Florette Camoins, on pouvait énumérer sans devoir préciser: six jambons (puisque naturellement de cochonnaille), trente gigots (de mouton, bien sûr), à part la cinquantaine de poulets de grain, «bien bourrés de pèbre d’aï et rôtis aux sarments». 

La cochonnaille sans fioritures : tranches de saucisson au pied du grand sorbier solitaire ; une musette d’un pain d’une livre, d’un demi-saucisson, d’un fromage de chèvre et une bouteille de vin, à emporter pour le petit déjeuner dans la colline ; côtelettes ou saucisses que Pamphile de Fortunette, le menuisier-charpentier, faisait griller sur une épaisse braise de thym. Quoique, dans sa simplicité, la cochonnaille sait aussi s’accommoder d’un «déjeuner d’anchois, de saucisson, de perdrix aux choux, de crêpes, et de trois bouteilles de vin cacheté», qui tordirent légèrement les premiers sillons de l’après-midi».

Quand, chez nous (2023), l’art du lard fumé a disparu au profit de poitrine vaguement boucanée, l’eau vient à la bouche à l’évocation des «petits cubes de lard onctueux» que suçotait le Papet, et quand bien même pas trop adepte de volatiles, des «ortolans ceinturés de lard roussi» et «une douzaine de merles et de grives bardés de lard» ne pouvaient sans doute pas laisser indifférent. 

Comment ne pas terminer cet inventaire par l’épisode de la fontaine muette et de l’eau acheminée en camion. Cent quarante-trois personnes sur les registres du village. Au moins douze mulets et une vingtaine d’ânes. «Et les cochons ? dit le boucher, dans chaque famille, il y a au moins un cochon !»...

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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