Cas d'eau empoisonné

L’heure est grave. La coupure d’eau s’étend de plus en plus dans la capitale ainsi que dans d’autres villes. Depuis plusieurs semaines voire des mois, la population tananarivienne vit dans les mêmes conditions que celles des endroits désertiques du Sud. Eh oui, qui aurait  pensé que les longues queues autour d’une oasis à Ambovombe, à Ampanihy… seraient un jour transposées dans la plus grande ville du pays. La coupure est d’autant plus rageante qu’il n’y a ni préavis ni explication de la part des autorités et des responsables directs de la distribution de l’eau. Le seul argument qu’on avance est la liaison entre le délestage et la coupure d’eau. Trop simpliste pour être crédible  alors qu’il pleut des cordes depuis plusieurs jours. Le délestage n’est pas permanent alors que la coupure d’eau l’est.

La fête de Noël a été réduite à une histoire de queue pour les Tananariviens. Pendant plusieurs jours des milliers de personnes se sont ruées vers la distribution gratuite d’une lampe solaire pour que Noël se passe sous une lumière. On a bien vu que la majorité de la population n’a pas l’électricité chez elle, seule une minorité râle contre le délestage.

D’autres personnes ont dû prendre leur mal en patience devant une bonbonne de la Jirama  pour tenter d’avoir une réserve dérisoire d’eau afin de se tenir propre et pouvoir cuire les mets de Noël.  Il y avait aussi de longues queues dans les grandes surfaces qui ont eu du mal comme c’est le cas chaque année, à absorber ceux que la vie ont mieux nantis et pour qui Noël est encore synonyme de grande mangeaille, de protubérance et de réjouissances. Toutes les “couches” semblent s’accommoder de leur destin sans se poser des questions. La situation a eu raison du sens de la mesure et de la décence.

Ailleurs,  une cellule de crise aurait été créée dans l’urgence pour tenter de trouver une solution. C’est loin d’être le cas. Les fêtes semblent avoir chloroformé les uns et les autres au point que la situation n’interpelle personne. Ni les autorités ni l’opposition pourtant groggy après l’élection et qui dispose d’un bon argument pour revenir à la charge.

Tout le monde se débrouille tant bien que mal dans ce décor surréaliste qui ramène au Moyen Âge mais la situation dépasse l’incroyable résilience, sinon la résignation de la population. Les surpresseurs et les motopompes ne sont pas à la portée de toutes les bourses alors que l’eau des puits présente un risque vu la construction de fosse d’aisance aux alentours des habitations.

Mais au-delà d’une réaction populaire toujours à craindre, il faut savoir les conséquences économiques,  sociales et sanitaires de la coupure d’eau. Les projets de promotion de l’hygiène à l’image du lavage des mains à l’école et ailleurs, de l’eau propre pour tous comme le recommandent les Objectifs de Développement Durable de l’ONU se trouvent hypothéqués sinon suspendus. Le pire est le risque d’une propagation de diverses épidémies et maladies contagieuses liées à la consommation d’eau insalubre. À l’allure où vont les choses, des gens seront tentés de puiser l’eau dans les canaux d’évacuation des eaux de pluies et d’eaux usées de la ville et pourquoi pas dans le lac Anosy ou dans le marais Masay. D’une façon générale, la population ne se souciera plus ni de la propreté ni de la potabilité de l’eau qu’elle utilise. Le choléra, la bilharziose, la fièvre typhoïde, la poliomyélite, la gale… trouvent alors un terrain propice pour faire des dégâts. C’est une autre paire de manches.

Le fait est qu’une lampe solaire peut servir à l’infini tandis qu’un seau d’eau ne dure que le temps d’une douche réduite à sa plus simple expression. Le président de la République a affirmé consacrer son nouveau mandat aux questions sociales, d’être plus près de la population, il a commencé par les lampes solaires, on espère bien qu’il enchaîne par cette histoire d’eau.

Il ne faut pas laisser pourrir la situation étant donné qu’il n’est pire eau que l’eau qui dort.

Sylvain Ranjalahy

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