Dix mois après le meurtre de deux pasteurs coréens à Moramanga, la Cour criminelle d’Antananarivo a condamné quatre accusés à quinze ans de travaux forcés.
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| La famille coréenne, cible de l’attaque meurtrière à Marovoay Moramanga, dans la nuit du 21 février 2025. |
Assassinat, complicité, détention illégale d’armes et de cachets d’État (de la commune de Morarano Gara), vol à main armée : ces crimes ont été reprochés aux accusés du meurtre de deux ressortissants coréens, survenu le 21 février de cette année à Marovoay, dans le district de Moramanga. Le procès s’est tenu hier à la Cour criminelle, dans la salle 4 du tribunal d’Anosy à partir de 10 h 30, puis s’est poursuivi dans la salle 5 jusqu’à 20 heures. L’audience a été interrompue par une pause de dix minutes avant la séance de plaidoiries et le délibéré, qui a duré plusieurs dizaines de minutes.
Selon le verdict, quatre accusés ont été condamnés à quinze ans de travaux forcés et à payer 140 millions d’ariary de dommages et intérêts. Quatorze autres ont été acquittés au bénéfice du doute.
Ils étaient donc dix-sept à s’expliquer tour à tour à la barre, tandis qu’un Coréen, dix-huitième accusé et considéré comme protagoniste, était absent. Ce dernier avait bénéficié d’une liberté provisoire et n’a plus donné signe de vie depuis, selon l’avocat de la partie civile. La plaignante est l’épouse de l’un des deux Coréens tués. L’autre défunt était son père. Elle ne s’est pas présentée aux débats contradictoires. Selon son avocat, elle reste traumatisée après avoir perdu deux proches en une seule nuit et avait, de plus, un rendez-vous chez son psychiatre.
Par l’intermédiaire de sa défense, elle a réclamé 600 millions d’ariary de dommages et intérêts. « Outre le préjudice moral, nous avons perdu notre argent — estimé à 90 millions d’ariary — en achetant un terrain que nous n’avons finalement pas obtenu. Nos biens importés mais bloqués au port de Toamasina sont évalués à 400 millions d’ariary. Pour l’ensemble des préjudices, nous exigeons 600 millions d’ariary. Même si les preuves ne sont pas irréfutables, nous estimons que le faisceau d’indices relevés et les débats entendus suffisent à établir leur complicité et la responsabilité de chacun dans ce crime. Le mobile tourne autour de l’argent, ainsi que des biens fonciers et matériels des victimes. Les accusés avaient chacun leur intérêt », plaide l’avocat.
Tout a basculé
Les défunts, gendre et beau-père, exerçaient comme pasteurs protestants, d’après les informations entendues au procès. Ils avaient vendu tous leurs biens en Corée pour venir réaliser un projet de charité et des actions sociales liées à l’agriculture à Madagascar. Pour une raison non évoquée à l’audience, l’avocate de l’un des accusés a révélé qu’ils s’étaient d’abord installés à Toamasina, d’où ils furent ensuite expulsés. Ils ont ensuite trouvé un terrain dans le district de Moramanga grâce à deux compatriotes, dont l’un est désormais incriminé pour leur meurtre et reste introuvable.
Ils avaient aménagé leur matériel sur un terrain de 45 hectares avant d’être immédiatement chassés par des villageois, en raison d’un accord jugé flou concernant leur arrivée et leur occupation. Leur compatriote suspect les a ensuite dirigés vers une autre propriété de 5 hectares à Marovoay, où tout a basculé dans l’horreur. Les terrains que les victimes souhaitaient acquérir pour leur projet n’ont jamais été enregistrés à leur nom, bien que de l’argent ait déjà été versé. Au lieu de leur conseiller un bail emphytéotique, l’un des accusés, collaborateur du Coréen incriminé, a fait porter le titre du terrain de 5 hectares au nom de sa femme.
Il se chargeait de toutes les démarches administratives pour le compte des clients rencontrés par son collaborateur étranger. Il possédait une entreprise dans l’agriculture et la pêche. C’est lui qui détenait une arme, un pistolet automatique, dont la possession était justifiée par une autorisation de port d’armes versée au dossier, selon son avocate. Il avait même été soupçonné d’être le commanditaire du crime, mais ses explications, solidement défendues par son conseil, ont convaincu le juge. Concernant les deux cachets vierges retrouvés chez lui, il a expliqué qu’il voulait les offrir au maire de Morarano Gara et à son adjoint, ses amis. Ils n’avaient pas encore été utilisés pour tamponner un quelconque document.
Les interrogatoires se sont concentrés sur un autre accusé, travaillant étroitement avec le Coréen poursuivi. Ce jeune homme s’occupait du dédouanement des biens importés par les défunts. Malgré le retard dénoncé comme une tentative de détournement, le container et tous les objets qu’il contenait étaient bel et bien arrivés à destination, comme l’atteste un acte notarial. Ces deux premiers accusés, sur lesquels le juge, la représentante du parquet général et les avocats se sont longuement penchés, affirment avoir porté secours aux victimes dans les heures ayant suivi l’attaque.
Le gardien et le chauffeur des défunts étaient également impliqués dans l’affaire. Ils étaient présents sur les lieux du crime au moment des faits, mais ne sont sortis de leur maison voisine qu’environ dix à quinze minutes après le départ des assaillants. Le gardien a déclaré qu’il dormait et n’avait rien entendu. Le chauffeur, lui, a affirmé avoir entendu trois coups de feu, avoir été menacé puis blessé par balle.
D’autres personnes présentées à la barre étaient des maçons travaillant chez les victimes, un autre gardien d’une propriété voisine, ainsi que des cultivateurs habitant à Ambohibolakely, où les traces de pas des bandits se sont effacées. Ces villageois, réputés pour leurs récidives et leur mauvaise conduite, ont été embarqués par les gendarmes, selon leurs propres dires devant les jurés. Un autre accusé a expliqué qu’il avait assisté aux obsèques des défunts à l’église et qu’il avait été arrêté par les gendarmes parce qu’il affichait une allure jugée suspecte en sortant pendant le culte. Il a précisé qu’il voulait simplement aller uriner.
Les dix-sept Malgaches accusés avaient été détenus provisoirement à la maison de force de Tsiafahy depuis le 14 mars 2025. Le crime avait eu lieu quelques jours plus tôt, dans la nuit du 21 au 22 février, au domicile fraîchement construit des deux pasteurs coréens.
Ces derniers avaient été attaqués sous les yeux de l’épouse du plus jeune, également coréenne. L’un a été abattu par balle, l’autre tué à coups de barre à mine. La plaignante, dans sa déposition, a affirmé avoir reconnu trois des assaillants, aucun ne portant de masque. Leur maison et la cour étaient bien éclairées cette nuit-là. Un mois plus tôt, en janvier, ils avaient déjà été attaqués par des bandits, mais son père et son mari avaient réussi à repousser les malfaiteurs, alors non armés.
Les corps des deux Coréens ont été incinérés au crématorium du Fasan’ny Karàna, où la communauté coréenne a fait une déclaration à la presse concernant cette affaire scandaleuse.
Haja Léo
