Refondation : L’identité malgache désormais au cœur du processus constituant

Madagascar vit un moment historique. Alors que le pays célèbre ses 67 ans de République, une nouvelle étape s’ouvre : celle de la « Refondation nationale ». Ce projet n’est pas une réforme ordinaire. Il s’agit d’une reconstruction politique, sociale et culturelle, portée par une révolution populaire et destinée à répondre aux attentes profondes du peuple.

Une transition inédite

Pour la première fois, une transition politique se déroule sans suspendre la Constitution en vigueur. Cela place Madagascar dans une situation particulière : entre la rigueur juridique qui impose de respecter le texte fondamental, et la légitimité populaire qui exige d’adapter les institutions aux réalités sociales. Dans ce contexte, l’opinion publique appelle à franchir une nouvelle étape :

celle d’un processus constituant. Trois grandes questions se posent : Peut-on lancer une nouvelle Constitution sans abroger l’ancienne ? Comment créer un pouvoir constituant tout en gardant les institutions existantes ? Quelle doit être la base démocratique de l’instance chargée de rédiger la loi fondamentale ?

Le dialogue inclusif comme solution

La réponse proposée est la concertation nationale. C’est un grand dialogue inclusif qui rassemble toutes les forces vives du pays. Ce n’est pas une idée nouvelle : en 1991-1992, une assemblée pré-constituante avait déjà réuni les autorités morales et les représentants de la Nation. Mais aujourd’hui, le contexte est unique : la société exprime une forte aspiration à un « vivre-ensemble » rénové. La concertation nationale est donc le socle du processus pré-constituant. Elle permettra de donner la parole aux citoyens, de recueillir leurs attentes et de transformer ces aspirations en propositions concrètes.

Un processus à double étape

Le processus se déroulera en deux étapes. Tout d’abord, la légistique matérielle démarre le processus : il s’agit de collecter et d’analyser les données sociales, culturelles, économiques et historiques nécessaires à l’élaboration de la Constitution. Les consultations se feront à l’échelle régionale, en associant les citoyens, les acteurs sociaux et les experts. Les sociologues, anthropologues, historiens, économistes, géographes et ingénieurs apporteront leur savoir pour éclairer les besoins et proposer des solutions adaptées. Cette étape vise à transformer les attentes populaires en matériaux exploitables.

Ensuite, intervient la légistique formelle : une fois ce corpus constitué, les juristes et politologues prendront le relais pour rédiger le texte constitutionnel. Leur mission sera de donner une structure cohérente aux normes proposées et de veiller à ce que l’architecture institutionnelle corresponde à l’esprit de la Refondation. Plusieurs projets de textes pourront être soumis au peuple lors d’un référendum suivant les recommandations émises lors des consultations régionales.

Un protocole innovant

Ce protocole constituant est une véritable innovation. Il permet d’éviter les erreurs du passé, où les Constitutions étaient écrites par un cercle restreint de juristes spécialistes et de technocrates, très souvent déconnectés du peuple. Il en résulte des textes techniquement raffinés mais inappliqués et rapidement remis en cause.

Cette fois-ci, cette nouvelle approche présente une triple garantie : un débat populaire méthodologiquement éclairé par les savoirs endogènes des communautés scientifiques malgaches, aptes à transformer les aspirations populaires légitimes en normes socialement acceptées et applicables dans le cadre d’un système institutionnel équitable, capable d’assurer un vivre-ensemble harmonieux.

À ce propos, l’exemple de la réforme du droit civil dans les années 1960 illustre la pertinence de cette approche : grâce à une enquête socio-ethnographique préalable, une législation adaptée aux pratiques sociales avait été créée. Elle reste en vigueur aujourd’hui. La future Constitution issue de la refondation nationale doit suivre cette logique : partir des réalités malgaches pour garantir son appropriation par le peuple d’abord et pour retrouver son efficacité dans la vie politique et sociale ensuite.

Vers un ancrage identitaire 

La prochaine Constitution ne devra pas être un texte abstrait sans prise sur le réel. Elle devra être vivante et enracinée dans la culture malgache. Les valeurs identitaires qui caractérisent la société malgache deviendront des principes concrets et des règles juridiques applicables : le Fihavanana est un dispositif d’initiation à la solidarité et à l’entraide communautaire, le Fokonolona, un cadre habituel de la participation citoyenne à la vie publique, le Hasina comme un mécanisme de restauration du respect de la dignité humaine, le Dina, un mode de régulation sociale par des règles locales reconnues et le Fady comme un moyen de protection culturelle et environnementale. Tout compte fait, ces valeurs, profondément ancrées dans la civilisation malgache, seront traduites en règles de droit applicables au quotidien et dans l’espace public.

La Refondation nationale est une occasion unique pour Madagascar. En s’appuyant sur la concertation nationale et en transformant les valeurs identitaires en normes juridiques, le pays pourra inscrire dans son histoire une Constitution authentique, distinctive et pérenne. Ce texte ne sera pas seulement une loi fondamentale : il sera le reflet vivant de la société malgache et le socle d’un nouvel État, fidèle à son peuple et à sa civilisation.

Laza Andrianirina , Membre titulaire de l’Académie Malgache

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne