Comme dans beaucoup de cosmogonies où le chaos primordial a précédé l’ordre, le monde semble vouloir renouer avec cette configuration des origines. Et comme dans ces récits où les ténèbres ont eu le monopole, chez nous elles s’affirment avec force. Car les ténèbres ont accaparé différents secteurs : l’éducation et l’instruction traversent une phase pathologique aiguë, l’ignorance, un des nombreux produits des puissances ténébreuses, fait des dégâts incommensurables (environnementaux, civiques...), et on assiste concrètement à cette invasion des ténèbres quand on vit les heures pénibles où l’électricité nous fuit. Les ténèbres ne sont plus l’apanage de la nuit, leur prolifération est devenue incontrôlable.
Malgré toute une vie marquée par un nombre considérable d’heures privées des services qui nécessitent l’électricité, les délestages sont toujours parmi les principaux motifs de grogne populaire, qui est devenue un fait normal. La frustration est toujours vivace et même plus intense quand la quasi-totalité des besoins fondamentaux nécessitent une maîtrise de l’électricité. Le contexte, celui d’un développement exponentiel du numérique, nécessite cette matière première essentielle qui n’est, jusqu’à présent, pas à même d’être présente dans nos foyers, étant de plus en plus dépourvue des moyens dont elle a besoin pour nous servir. Et les ténèbres nous font alors voir quotidiennement un de leurs nombreux visages.
Les délestages ne sont que la face visible des ténèbres qui nous enveloppent. L’obscurité efface la lumière des esprits qui sont en permanence menacés et enclins à sombrer dans une ignorance toxique. C’est ce poison de l’ignorance qui s’incruste là où doivent jaillir les lumières, une intrusion nocive favorisée par un état précaire du système éducatif et par la longue nuit d’une vie chère qui rend une instruction de qualité hors de portée de nombreuses bourses, un terrain favorable à cette annihilation du savoir. Ainsi, l’obscurité, en plus de perturber nos vies plongées dans les délestages, égare également les comportements qui tombent dans les pièges de l’incivisme ou de l’indiscipline, tous enfants des ténèbres de l’ignorance.
Si les lumières sont donc les éléments manquants pour compléter la formule que l’on cherche désespérément pour chasser ces ténèbres, les conquérir passe donc, entre autres, par un retour de l’électricité pour éclairer les maisons, les rues, pour offrir sa lumière comme contribution à la lutte contre l’insécurité. Elle est aussi devenue indispensable dans les écoles qui ont recours à ses vertus pour faciliter l’admission du savoir dans les cerveaux qui ont besoin de sortir de ce que le philosophe Emmanuel Kant appelle un «état de minorité». Et tous les esprits nécessitent que les lumières leur apportent l’éclair salutaire de ce savoir pour que les ténèbres qui assombrissent nos vies s’atténuent.
Fenitra Ratefiarivony