À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains, Madagascar a concrétisé une coopération régionale avec Maurice à travers une convention signée avant-hier à l’Asia & Africa Hotel – Ivato.
«La Traite des êtres humains est un crime organisé, mettons fin à l’exploitation ». C’est dans cet esprit que Madagascar a célébré le 30 juillet la Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains. L’événement organisé par le Bureau National de Lutte contre la Traite des Êtres Humains (BNLTEH) a rassemblé une large diversité d’acteurs tels que les représentants du gouvernement, les institutions publiques, les membres du corps diplomatique, la société civile, le secteur privé, ainsi que les partenaires techniques et financiers, témoignant de la volonté commune de renforcer la réponse nationale et régionale face à ce phénomène complexe. Une volonté concrétisée par la signature d’une convention de partenariat entre le BNLTEH, DIS-MOI (Droits humains Océan Indien) et Passerelle, dont l’objectif vise à renforcer la coopération afin de prévenir la traite des êtres humains, améliorer la protection et la réinsertion des victimes notamment celles originaires de Madagascar, exploitées à Maurice ou en transit dans la région, et mieux coordonner les actions à l’échelle régionale.
Parallèlement à cette cérémonie, un atelier thématique s’est déroulé, rassemblant des représentants institutionnels, des acteurs de la société civile ainsi que des partenaires techniques et financiers.
Application rigoureuse
Cet espace d’échange a favorisé les débats sur les enjeux liés à la traite des personnes aux échelles régionale et internationale, tout en permettant d’examiner les perspectives concrètes de renforcement des actions collectives et pérennes. Les engagements pris par Madagascar s’articulent autour de l’application rigoureuse des lois existantes et de la mise en œuvre de mesures préventives. Dans cette logique, l’interdiction des agences de placement demeure maintenue.
Madagascar recense cent vingt-et-une victimes de traite en 2024
Près de 121 victimes de traite identifiées en 2024, touchant majoritairement des adultes (90%) et des mineurs (10%), selon le Chef de Mission de l’Organisation Internationale des Migrations à Madagascar et aux Comores, Roger Charles Evina. Sur ces cas, 42 ont reçu une confirmation officielle tandis que 91 trafiquants ont comparu devant la justice nationale. L’Organisation Internationale pour les Migrations a également orchestré le rapatriement de 9 victimes malgaches depuis le Cameroun, avec 4 autres retours en préparation.
Questions à ... Mélanie Valere Ciceron -«Le centre Univers’ELLES accueille vingt Malgaches victimes de traite»
Quelles sont les activités de l’ONG Passerelle ?
L’ONG Passerelle existe depuis dix ans à Maurice. Elle s’occupe essentiellement de femmes sans-abri, de victimes de violences domestiques, de traite des êtres humains. Depuis 2018, elle a fondé avec l’ONG DIS-MOIS (Droits humains Océan Indien) le centre spécialisé Univers’ELLES pour soutenir les victimes étrangères de la traite des êtres humains en leur offrant un hébergement sécurisé et un suivi personnalisé.
Comment intervient ce centre ?
Ce centre accompagne les victimes de traite. Actuellement, nous en accueillons vingt, toutes de nationalité malgache, dont deux mineures. Conscient des traumatismes vécus par ces femmes, le centre Univers’ELLES propose un soutien psychologique, une assistance juridique ainsi que des formations pour leur permettre de reconstruire leur vie et de faciliter une meilleure réinsertion dans leur pays d’origine. Nous les avons par exemple formées aux premiers secours, en coiffure et make up, en gestion d’entreprise, via des stages rémunérés. Elles ont aussi été formées en artisanat avec des déchets textiles en attendant un permis de travail pour qu’elles atteignent l’autonomie financière.
Comment fonctionne ce centre ? Quelles sont les sources de financement ?
Ce centre bénéficie d’un financement de la police. À l’île Maurice, nous menons de nombreuses actions de sensibilisation et d’éducation aux droits humains pour combattre la traite des personnes. Les victimes de traite le deviennent souvent par méconnaissance de leur statut de victimes, ou alors elles tombent dans les pièges tendus par un tiers qui promet de meilleures conditions de travail, un meilleur salaire. Mais fréquemment, elles subissent des travaux forcés, de l’exploitation sexuelle. Elles peuvent aussi recevoir le tiers du salaire convenu mais sans passeport, elles ne peuvent rien entreprendre. Certaines peuvent aussi être contraintes de se prostituer pour pouvoir manger, ce sont des profils récurrents.
Comment se fera la réinsertion de ces victimes ?
Chaque cas demeure unique. Mais dans le centre, toutes les victimes attendent la fin de la procédure judiciaire qui dure de six mois à un an. Concernant le retour en terre malgache, certaines ont déclaré avoir subi des menaces et envisagent de demander l’asile. L’objectif du centre Univers’ELLES consiste à redonner confiance, afin que les victimes retrouvent leur dignité.
Migration professionnelle vers Maurice - Près de six mille cinq cents visas signés depuis 2022
Plus de 6 500 Malgaches ont rejoint l’île sœur depuis 2022 dans le cadre de contrats de travail légaux.
Les flux migratoires professionnels entre Madagascar et l’île Maurice connaissent une dynamique remarquable depuis trois ans. Selon les données officielles communiquées par Fenitra Andriantianarisoa, directeur de la migration professionnelle au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Fonction publique, 6 595 ressortissants malgaches ont obtenu des visas de contrat de travail pour l’île Maurice entre 2022 et le premier semestre 2025.
Cette progression témoigne d’une accélération constante des départs légaux vers l’île sœur. En 2022, l’administration malgache avait visé 1 313 contrats de travail destinés à Maurice. L’année suivante, ce chiffre a atteint 1 438 visas, marquant déjà une tendance haussière. L’année 2024 a constitué un tournant décisif avec 2 831 contrats visés, soit une augmentation de près de 97 % par rapport à 2023. Cette croissance soutenue se poursuit en 2025 puisque 1 013 visas ont déjà été délivrés au cours du seul premier semestre.
La proximité géographique entre les deux îles constitue un facteur déterminant dans cette attractivité mauricienne. Située à moins de 900 kilomètres de Madagascar, l’île Maurice représente une destination accessible qui permet aux travailleurs malgaches de maintenir des liens familiaux et culturels avec leur pays d’origine. Cette proximité facilite également les retours périodiques et réduit les coûts de transport, rendant la migration temporaire plus viable économiquement.
Du côté mauricien, les entreprises trouvent à Madagascar un réservoir de compétences techniques et professionnelles diversifiées. La main-d’œuvre malgache bénéficie d’une réputation de qualité dans plusieurs secteurs d’activité, combinée à des coûts salariaux compétitifs qui attirent les employeurs mauriciens confrontés à des tensions sur leur marché du travail local.
Traite des êtres humains -Les pays du Golfe en première ligne
Les statistiques récentes du Bureau National de Lutte contre la Traite d’Êtres Humains (BNLTEH) révèlent que pour l’année 2024, l’exploitation du travail domestique, le travail forcé, les pratiques analogues à l’esclavage ainsi que le mariage forcé représentent 78% des cas déclarés. Au total, 42 dossiers ont été traités dans cinq régions : Analamanga, Analanjirofo, Atsimo-Andrefana, Diana et Vakinankaratra. Le rapport met en évidence une concentration des cas dans la région d’Analamanga, qui représente à elle seule plus de 80% du total, témoignant d’une vulnérabilité particulière de la capitale et de ses environs.
Mais le phénomène de la traite est encore plus alarmant dans les migrations professionnelles où des Malgaches travaillent comme domestiques au Liban, au Koweït et en Arabie Saoudite, subissant diverses formes de maltraitance et d’exploitation. Elles partent avec des promesses d’emploi domestique rémunéré mais une fois arrivées, certaines subissent séquestration, confiscation de passeport, non-paiement de salaires et conditions de travail dégradées qui s’apparentent à de l’esclavage moderne. Parfois, elles se retrouvent même dans l’obligation de partager la couche de leur employeur.
Victimes de mariages forcés et d’esclavage domestique, ces femmes courageuses retracent leur parcours douloureux dans “Fleurs de l’espoir”, un film de 14 minutes réalisé en 2018. La structure narrative du film s’articule autour de sept thématiques majeures :la pauvreté, les mensonges et les escroqueries, l’esclavage et les mauvais traitements, la violence, le mariage forcé, la quête de liberté et l’espoir. On y voit des survivantes de la traite des êtres humains témoigner que les trafiquants recrutent des femmes sous couvert d’opportunités professionnelles, mais les vendent ensuite à des hommes chinois dans le cadre de mariages forcés. Une autre indique avoir été vendue à douze millions d’ariary puis offerte à un homme chinois ayant des troubles psychiques. Ces victimes se retrouvent réduites à des travaux forcés sans possibilité de retour.
Haingo Rarivoson