En 1943, Jean-Paul Sartre écrivait: « L’enfer, c’est les autres ». Plus de quatre-vingts ans plus tard, cette citation peut avoir un écho particulier en résonnant au milieu du contexte de la révolution numérique. Alors que la société et ses membres ont emprunté cette voie qui les a transportés vers un autre monde, celui du virtuel, la vie sur les réseaux sociaux édicte implicitement une règle que doivent suivre ceux pour qui ils sont devenus un besoin vital : obtenir le regard d’autrui.
Échapper à l’attention des autres et sombrer dans leur indifférence est un des supplices courants qui peuvent être infligés à bon nombre de nos contemporains.Aujourd’hui, cette dépendance aux autres, à leurs yeux, est ce qui impose le rythme à suivre dans cette cacophonie des réseaux sociaux.
Pour pouvoir y vivre, l’épanouissement s’obtient par la visibilité ; la discrétion condamne à une « insignifiance » qui est, pour certains, le pire des châtiments. Une maîtrise de l’art de l’exhibition est requise pour transfigurer la relation avec les autres en source de félicité. Il s’agit alors d’obtenir des victoires comptabilisée se nombre de partages, de «likes», de « j’adore», de « solidaire »... les différentes médailles que poursuit cette quête quotidienne. Ainsi, l’enfer, c’est toujours les autres.
Mais si, pour Sartre, il s’agissait du poids des regards, aujourd’hui c’est leur absence qui peut affliger.
Dans cette société où beaucoup ont choisi de passer une grande partie de leur existence, l’obligation de porter un masque s’est imposée à un nombre considérable d’individus. Le même masque que celui que portaient les acteurs dans les théâtres de l’Antiquité gréco-romaine revient, mais sous une autre forme. Comme la persona — ainsi a-t-on appelé cet outil du comédien — les différents artifices exploités sur les réseaux sociaux construisent une identité numérique, celle qui est mise en scène pour attirer les regards et pour « survivre » au sein de cet univers.
L’acquisition des réactions recherchées passe par l’étalage de certains aspects de la vie privée, comme lorsqu’est mis en scène le bonheur d’un couple, ou quand on offre aux regards ce qui sera mangé, ou quand les vacances attisent l’envie des autres...Carl Gustav Jung a consacré certains passages de ses écrits à la perso-na, un des archétypes de sa psychologie analytique.
Selon le psychiatre suisse, quand la société fait peser ses normes vers lesquelles se penche la balance des comportements, l’identité est alors trop définie par la persona. Et le masque social, porté pour pouvoir être ce que les autres attendent de nous (ou pour être ce qu’on veut être aux yeux d’autrui), finit par étouffer le soi véritable, dissout dans l’océan du virtuel.
Fenitra Ratefiarivony