Passé imparfait et présent subjectif

Dès l’avènement de ce millésime 2025, j’imagine les tiraillements intellectuels chez les Allemands d’aujourd’hui, désireux de se démarquer de leurs prédécesseurs de 1945. Ceux qui avaient allumé les premiers feux du pogrom de novembre 1938 avant d’envoyer six millions de Juifs vers les abattoirs de Treblinka, Auschwitz, Buchenwald. La condamnation à mort de douze nazis par le tribunal de Nuremberg, en 1946, n’aura ni absout un «crime contre l’Humanité» ni réglé les comptes avec le passé. Le plus célèbre d’entre ceux qui avaient réussi à s’exfiltrer vers l’Amérique du Sud, Adolf Eichmann, fut retrouvé en mai 1960 après des années de traque. Extradé vers Israël, il fut condamné à mort par un tribunal de Jérusalem et pendu le 1er juin 1962. Mais, cela non plus ne dut que raviver la honte. 

Génocide, il y eut. Mais, tous les Allemands ne furent certainement pas des tortionnaires de la Gestapo, ni des SS-Totenkopf psychopathes. Les brillants officiers de type Erwin Rommel et les valeureux soldats de la Wehrmacht ne furent pas systématiquement des Heinrich Müller ou des Aloïs Brunner, même si un extraordinaire pilote de la Luftwaffe, Hans Ulrich Rudel, le combattant allemand le plus hautement décoré de la seconde guerre mondiale, avait pu ne jamais renier ses convictions malgré l’évidence de la Shoah. 

Les «Alliés» ont marqué le 80ème anniversaire du 8 mai 1945 sans complexe de culpabilité pour les bombardements sur Dresde (février 1945), l’orage de feu sur Hambourg (juillet 1943) ou le plus méconnu raid sur Pforzheim qui décima le tiers de la population civile en une nuit (février 1945). Quant aux Russes, ils ont commémoré le 9 mai 1945 avec fastes en présence de nombre de chefs d’État étrangers, dont celui de la Chine, désormais co-première puissance mondiale. Un détail minuscule, qui peut tracer de grandes frontières idéologiques, explique cette différence de date dû à l’écart de fuseau horaire : le maréchal Wilhelm Keitel avait signé la capitulation allemande, alors qu’il était encore 23 heures ce 8 mai 1945 à Berlin, mais déjà 1 heure du matin, le 9 mai, à Moscou. 

Presque en contre-plongée, je décrypte le message de l’Ambassade d’Allemagne à Madagascar, un message sans doute au diapason dans toutes les représentations allemandes de par le monde : «La capitulation sans condition de l’Allemagne nazie signe la fin d’une guerre qui a fait des millions de victimes et celle d’un régime qui, par la terreur, une folie raciste et un génocide, a bafoué les valeurs fondamentales de l’humanité. Le 8 mai représente la libération de la tyrannie du national-socialisme». 

Une guerre, dans le contexte déjà très industrialisé des années 1930-1940, ne pouvait qu’être catastrophiquement meurtrière. Il aurait fallu, pour tous les protagonistes de l’époque, savoir l’éviter. Malheureusement, sur le plan strictement géopolitique, elle s’inscrivait dans la logique des précédents conflits qui n’ont jamais cessé d’ensanglanter l’Europe. Le siècle, entre la conclusion du Congrès de Vienne (1815) et le déclenchement de la première Guerre mondiale (1914), est émaillé de plusieurs conflits inter-nationaux : Italie contre Autriche, Russie contre la coalition franco-britannico-ottomane en Crimée, la Prusse contre l’Autriche, la France contre la Prusse, les guerres des Balkans. Ces tiraillements incessants et localisés devaient être apurés une bonne fois pour toutes. Et ce vrai «Der des Der» culmina dans un scénario apocalyptique, aucun camp «mieux» qu’un autre ne pouvant s’exonérer de la responsabilité de la cinquantaine de millions de victimes de la guerre. Par contre, la culpabilité spécifique de la Shoah incombe indubitablement au régime nazi et son idéologie «bafouant les valeurs fondamentales de l’humanité». 

En comparant les photos des villes allemandes, ce qu’elles n’étaient plus en mai 1945 et ce qu’elles sont magnifiquement redevenues en mai 2025, on peut comprendre l’incrédulité de nombre de Juifs qui n’eurent pas la lucidité d’un Einstein, renonçant à revenir en Allemagne dès 1933, ou le bon sens de ceux de l’École de Francfort (Horkheimer, Adorno, Marcuse) fuyant Hitler dès après sa prise de pouvoir. Cette incrédulité, instillant le doute et conduisant à l’indécision, persiste dans ce mot souvent entendu : «Un aussi grand peuple que l’Allemagne, tout de même...». 

D’autres Allemands ont pu justifier cette confiance. Dans l’industrie automobile, nous sommes des milliards à rendre chaque jour hommage à l’inventivité des Karl Benz (Mercedes-Benz), Gottlieb Daimler (Daimler), Karl Rapp (BMW), Ferdinand Porsche (VW et Porsche), August Horch (Audi), Rudolf Diesel ou Robert Bosch.   

D’autres «Germains» allaient réconcilier leurs voisins avec ce «grand peuple». L’Europe a emprunté à l’Allemand Friedrich von Schiller (1759-1805) son poème «Ode à la joie», qui sera repris dans la 9ème symphonie du compositeur allemand Ludwig van Beethoven (1770-1827), pour devenir l’hymne de l’Union européenne avec comme version officielle, les interprétations du chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan (1908-1989). 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne