Le premier menu

«Voyage culinaire à Madagascar» est une histoire de convictions. Celles de Henintsoa Moretti : frustrée que la cuisine malagasy se limite aux «amalona sy henakisoa», «ravintoto sy henakisoa», «varanga», «sesika» ; paniquée également à la lecture du menu aux 62 plats, au libellé pour le moins «créolisé», lors du mariage du petit-fils du Premier Ministre Rainilaiarivony en novembre 1892 ; désireuse enfin de contribuer à la préservation de la mémoire collective. 

Toutefois, j’apporterai un bémol quant au label «recettes authentiques et traditionnelles». Ce samedi, au Musée de la Photo, Henintsoa avait animé une causerie et elle fut passablement irritée qu’on puisse lui parler de «kompozé» (c’est une variation autour de la salade russe, semble-t-il). Je peux comprendre que «l’incontournable de la Street Food à Madagascar» soit refoulé au seuil d’un ouvrage, et d’une oeuvre, à la recherche du passé le plus ancien. La carotte était inconnue de nos ancêtres, comme d’ailleurs le macaroni, sinon la betterave. 

L’excellente étude de Philippe Beaujard (Histoire et voyages des plantes cultivées à Madagascar, 2017) détaille les plantes alimentaires connues avant le 16ème siècle. Celles-ci seraient donc plus authentiques et plus traditionnelles que celles qui viendront après et pour lesquelles les Malgaches n’ont pas eu le temps de nationaliser le nom : concombre, courgette, «saosety», poireau, céléri, petits pois, radis, navets, chou... Mais, déjà, avant le 16e siècle, les plantes américaines avaient supplanté les cultures «traditionnelles» : le maïs remplaça l’ampemba, le manioc éclipsa le ovibe, le vo(a)manga se substitua au saonjo... 

Un passage des «Tantara Ny Andriana» évoque un temps «tsy mbola nisy vary, tsy mbola nisy mangahazo mbany vomanga» (p.12). En effet, il n’est pas jusqu’au sacro-saint riz, «aliment blanc», qui n’ait pas pris la place des tubercules, «plantes noires». Et la viande de boeuf qu’on mange à toutes les sauces, ce zébu qu’on voit partout omniprésent, il n’aurait été pourtant introduit qu’assez tardivement à Madagascar, vers le 10ème siècle.

Démarche pertinente d’être allée chercher savoir-faire et traditions orales culinaires chez les «grands-mères, gardiennes des marmites». Les choses de la cuisine seraient donc comme les affaires de la généalogie, comme j’ai pu le constater maintes fois : les épouses et les tantes connaissent des «détails» qu’elles taisent prudemment aux mâles de la famille.

Si la langue est maternelle, que cette langue est structurellement (grammaire, syntaxe, lexique) sud-est asiatique, les mères et les grands-mères étaient donc sud-est asiatiques. Pourquoi ces «gardiennes des marmites» n’auraient pas cuisiné à Madagascar deux au moins des trois animaux austronésiens : le couple coq/poule, le cochon, le chien. Si la consommation du coq/poule se perpétua, l’interdit de la viande de porc est une innovation ultérieure, sans doute contemporaine de l’opprobre envers le chien. Dans la grille de lecture «authentique/traditionnelle», le menu des grands-mères sud-est asiatiques était manifestement plus authentique et plus traditionnel, parce que plus ancien.

La «soupe Tamatave» qu’ont introduite dans cette ville portuaire les héritiers des travailleurs chinois du chemin de fer de l’Est, réquisitionnés au début du 20ème siècle, se rencontre désormais partout. En sa recette originelle chinoise, dans un ou deux siècles, pourra-t-elle acquérir une malgachéité authentique et traditionnelle ? 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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