Dualité insulaire à travers des paysages

Bivouac de charretiers le soir autour d'un feu de bois.

Dualité de l'Emyrne: la terre et l'eau; le tanety rocailleux battu par la houle des herbes sèches et la rizière plantureuse. À la limite, le village dont les façades flambent aux feux de l'aube. » C’est un chroniqueur anonyme qui a publié ce poème dans un numéro de la Revue de Madagascar dans les années 1930. Des photos anciennes légendées sur la province d'Antananarivo l’accompagnent et ne manquent pas de souligner les particularités des Hauts-Plateaux. 

« La rue villageoise » y est route, tranchée de cases fleuries et décorée d'une foule en lamba - rompant la monotonie du voyage- calme, silencieuse, mais d'où fuse parfois un rire sonore.

« Le marché » est un peu aux dames paysannes des Hauts-Plateaux ce qu'est le « salon » pour la population citadine. On y vend sans doute, mais on s'y étend aussi, on s'y retrouve, on y jase. C'est là où les nouvelles courent de bouche à oreilles plus vite que les lézards. 

« Réjouissance ou deuil »? Mais toujours fête « aux flonflons » des « musiciens de profession ». Gâteaux et boissons y circulent, détente dans la sobre et simple vie paysanne de tous les jours.

Typiques aussi de l'Emyrne, « les campements de charrettes ». L'animal se repose pendant que l'homme répare, arrime ou allume les feux qui, le soir, pétillent d'étincelles sous les étoiles. Mille « petits commerces » s'échelonnent des villages aux banlieues des grandes villes: café, mercerie, épicerie, tabac, ces petites boutiques offrent aux grands vagabonds que sont les paysans, las parfois de la boue de leurs rizières, la détente ou le repos sur la route. Et aux femmes, le bazar ménager.

« Le riz » est la grande richesse des Hauts-Plateaux, la base du commerce intérieur de la province par sentiers, routes et canaux. Jeunes et vieux, hommes et femmes y trouvent leur raison de vivre. Et quelle récompense après l'effort que « l'entassage des bottes lourdes » de grains dorés. 

Mais « le soir tombe » si doux en ce pays de l'Emyrne et jeu d'ombres chinoises sur des pourpres, des orangées et des mauves donnant à l'âme sa provision de paix et de rêverie aussi nécessaire à l'homme que celle du riz familial.

Au Sud de l'ile, la province de Toliara. Elle se distingue par « des cornes et des pierres » et sur ces cornes et ces pierres, des lézards. Quel  meilleur symbole des immenses et monotones steppes du Sud dont la seule ponctuation est les cactées et les cornes des troupeaux? Ici et là, près des villages, « quelques grands arbres sous lesquels on palabre ». Le pasteur est nomade par nature, mais la nature comme un tamis vibrant dont le mouvement se ralentit, a fini par localiser les groupes ethniques de l'ile.

Tout porte aujourd'hui ces peuples à se sédentariser: les circonscriptions administratives, l'attrait des bourgs, le progrès qui nuit un peu à la joie de vivre. Le vol des bœufs a été une prouesse, un jeu, une occupation, avant de relever du juge de paix. Les frontières de la morale, elles aussi, ont été nomades. Mort et enterré, « le pasteur vit encore parmi ses troupeaux ». Désormais, ce sont eux, en corne ou en bois, qui veillent sur lui et quelle étrange satisfaction à ne pas être dépaysé dans l'autre monde.

Les palais européens ont leurs cariatides et leurs chapiteaux, « les cases » dont le bois de ce pays dénudé a la valeur du marbre de Carrare, ont aussi leurs artistes. Mais le confort n'est pas celui des palais, il suffit cependant de créer le foyer. Éphémères, ces cases passeront vite, le vieux pourra difficilement dire « c'est ici où je suis né ». Qu'importe ! 

« Nous savons bien que tout est périssable. Le principal est de vivre. » Et ils vivent ces gens du Sud, pasteurs ou « piroguiers », dont les villages parfois jumelés, celui de l'intérieur et celui du bord, portent la marque de cette dualité! Nulle part mieux que sur mer, ces peuples ne sont plus près de leur origine car « une ile ne se peuple que de marins ».

« En Europe, on doit aux marins les « j'aborde » et les «j'accoste » utilisés à tous propos en pleine terre. « À y bien regarder, le vocabulaire malgache est plein de sel et d'embruns. »

Les gens ayant le mal de mer préfèrent le plancher des vaches. Les vues reposantes ne manquent pas. Dans « un palais de bois et de roseaux » vivent des pasteurs, la porte n'est souvent qu'un paravent de planches qu'on y plaque le soir venu. La fumée comme les fleuves à méandres trouve facilement les joints d'où s'échapper. 

« La mer » toujours recommence! « L'atavisme est d'ordre passionnel et qui ne se sentirait Vezo, au couchant, lorsque la broderie des nuages d'or et de flammes souligne l'immensité de la mer et celle du ciel? »

Pela Ravalitera

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