La plus longue réplique que je lui connais sera cette réponse au questionnaire de Pivot : «Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, vous l’entendre dire ?» - «Puisque tel est ton plus grand et ton plus profond regret - je le sais - viens, je te mène à ton père et ta mère, afin que, pour la première fois, enfin, tu les vois ensemble». C’était un Alain Delon sexagénaire, avouant un chagrin d’enfant.
À dix mille kilomètres, je n’ai pas vu chacun de ses films, je n’en ai même pas vu tant que ça. Mais, pour avoir vu des prestations caricaturales, j’adopte cette conclusion de senscritique.com : «Alain Delon est un mythe. (Mais) sa filmographie est quand même aussi entachée de films mineurs ayant mal vieilli et de quelques navets presque irregardables». Et quand un critique s’écrie «Même un navet a du goût», sans doute pense-t-il à «Astérix aux Jeux Olympiques» : judicieux casting que d’avoir campé Alain Delon en Jules César, mais le film est un florilège des poncifs d’une époque que l’acteur lui-même déclarait détester.
S’il avait encore eu toute sa tête, lui qui fut placé sous curatelle, et s’il avait daigné y jeter un regard, sans nul doute aura-t-il détesté la cérémonie des Jeux Olympiques de Paris 2024, avec ses allusions hermaphrodites. Quand de nombreux commentaires regrettent que disparaisse l’un des derniers témoins d’une «certaine France», c’est pour se demander qui osera encore parler franchement de certaines choses que voudrait raboter le politiquement correct : Alain Delon portait ses valeurs de droite, pour la peine de mort, contre l’homosexualité, allergique au «changement de civilisation».
Les scènes avec Romy Schneider ou Mireille Darc, les affiches avec ses glorieux aînés, Jean Gabin («Le Pacha» né en 1904) ou Lino Ventura (son autre aîné, de seize ans), la camaraderie revendiquée avec Jean Belmondo (né en 1933 et le seul vraiment de sa génération), malgré «Borsalino», auront certes traversé ma jeunesse. Mais, déjà, moins dans ces grandes salles, Rex, Ritz, Roxy, qui allaient être (re)-converties en salle de prières évangéliques qu’à la télé noir et blanc ou en cassettes VHS.
Dans mon imaginaire, «Paris brûle-t-il ?» appartient plutôt à la filmographie d’Yves Montand (né en 1921). Alain Delon, jeune trentenaire, y figurait comme second rôle, mais pas dans la peau de n’importe qui : en Jacques Chaban-Delmas, futur président de l’Assemblée nationale et Premier Ministre, mais jamais Ministre de De Gaulle.
«Mon Général, Depuis toujours, et plus encore depuis des ans, j’étais, grâce à vous, fier d’être français. Ce soir, devant l’ingratitude et l’inconscience de plus de la moitié d’un peuple, je ressens avec effroi un sentiment de honte qui me brise le coeur. Je tenais à vous le dire. Daignez me croire, mon Général, fidèlement et inconditionnellement vôtre». Ce «Paris, le 27 août 1969», au lendemain d’un énième référendum gaullien, cette fois sanctionné d’un «Non», daterait le dégoût d’Alain Delon pour tout ce qui allait s’ensuivre.
Cette lettre, retrouvée dans les archives de l’Élysée, n’allait être dévoilée que bien des années plus tard. Sans dividendes médiatiques, pour ainsi dire. L’autre séquence où l’acteur paraît ne pas jouer la comédie est sa démarche de se rendre dans les locaux du «Figaro» pour insérer une petite annonce en souvenir de sa chère «fiancée» Romy Schneider : «Rosemarie Albach-Retty dite Romy Schneider aurait 80 ans aujourd’hui, ce dimanche 23 septembre. Que ceux et celles qui l’ont aimée, et l’aiment encore, aient une pensée pour elle. Merci».
Romy était partie dans l’éclat de sa maturité de femme. Alain Delon, lui, aura eu tout le temps de vérifier à quel point le général de Gaulle avait raison : «La vieillesse est un naufrage». Ceux qui avaient admiré le bôgosse hiératique, taiseux et ténébreux, garderont l’image plus que jamais intemporelle de «La piscine» baignée d’Eau Sauvage de Dior. Un homme qui aimait les femmes et qu’aimaient les femmes. Même à titre posthume.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja