Ombres contemporaines

Des prisonniers sont condamnés à borner leur existence à l’intérieur d’une caverne. Leur perspective est aussi limitée par la captivité qui ne laisse à leur vision qu’un mur sur lequel se projettent les ombres. Ces ombres, possédant le monopole des yeux, s’imposent à la connaissance des détenus dont le “savoir” est ainsi bâillonné par les apparences qui travestissent la réalité. Cette caverne est, selon le livre VII de La République de Platon, notre geôle.

À l’instar des détenus de la caverne de cette célèbre allégorie, nous sommes sous l’emprise des ombres qui se sont accaparées des consciences, conditionnant les croyances, les élans passionnels, les relations, etc. Tous sont mus par le gouvernement des ombres omniscientes et omnipotentes, omniprésentes plus que jamais sur les différents microcosmes affectionnés par l’individu du XXIe siècle. Ce dernier privilégie des refuges où s’épanouissent ces ombres, qui déploient leur puissance et nous déconnectent de la réalité.

Les ombres prolifèrent sur nos écrans, portes d’accès à une caverne moderne qu’elles envahissent. Elles parasitent et altèrent la vision du monde qui se trouve hors des bords des simulacres numériques. Et comme tout simulacre, terme popularisé par le philosophe Jean Baudrillard, ils pervertissent la réalité, la réduisant à arborer le masque de l’illusion.

Piégés dans la caverne que George Orwell, malgré toute la pertinence des prophéties de 1984 (1949), n’aurait pas imaginée, nous sommes constamment manipulés par les ombres grossissantes qui déforment la réalité. Les murs de l’antre des réseaux sociaux envoient à notre attention, complètement assujettie, ces ombres. Cette aliénation rend le terrain favorable à l’hétéronomie, cette situation où, selon Kant, on reçoit les lois de l’extérieur. Cela se produit tous les jours lorsque nous laissons, facilement et sans résistance, les ombres formater tout notre être.

Les cavernes modernes sont aussi peuplées d’illusions que la “réalité” dans laquelle vivent les personnages de Matrix (Les Wachowski, 1999). Et comme dans ce fameux film, des braves mobilisent leur courage pour la reconquête de la réalité, en permanence écrasée par les ombres qui ont gagné la guerre des représentations. Ces ombres ont acquis l’adhésion, la confiance d’un nombre plus que considérable d’internautes et d’usagers des réseaux sociaux.

Dans le mythe de la caverne, un prisonnier, qui représente le philosophe, parvient à se défaire de ses liens. C’est le commencement d’une aventure éclairante sur le chemin de l’illumination, de l’expérience de l’éblouissement par le soleil de la “vérité” que l’enfermement lui a ravi. Mais alors qu’il croyait offrir un cadeau inestimable, la véritable réalité, aux autres prisonniers, ces derniers n’eurent pour lui qu’hostilité et rejet. Ils ne peuvent concevoir la sortie hors du bain des illusions. Ainsi aussi peut se résumer le destin de ceux qui osent dénoncer les mensonges et les fanatismes, ces ombres qui sont les maîtres de la caverne contemporaine.

Fenitra Ratefiarivony

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