Chaque 8 mai, et depuis 1900, le Collège Saint-Michel d’Ampariabe (puisque le site se trouve entre les rizières d’Antanimbarinandriana et le site de battage du riz d’Ampamoloana) commémore l’anniversaire de la bénédiction solennelle de l’établissement, transplanté sur les rives du lac Anosy après douze premières années à Ambohipo, par Mgr Jean-Baptiste Cazet (arrivé à Madagascar en 1864, Vicaire apostolique de 1885 à 1911). Comme aiment le rappeler les Jésuites, «L’établissement appelé Collège d’Ampari(a)be n’appartient pas à la Mission catholique, et relève directement de la Société de Jésus» (J.O. du 6 avril 1901, p.5618, cité par François de Torquat s.j.).
La fête du Collège 2024 allait se dérouler tranquillement avant que n’intervienne l’annonce d’une interdiction totale de la vente et de la consommation d’alcool, jusque dans les locaux du Foyer des Anciens de Saint-Michel. Stupéfaction et incompréhension.
En ce Foyer, lors des réceptions des «Généraux» Pedro Arrupe (1976) ou Peter Hans Kolvenbach (1992), l’eau n’eut pas besoin d’être changé en vin puisqu’il y était en bouteilles cachetées. Sur des photos d’archives, on voit un grand déjeuner des Anciens, et de leurs familles, en la présence du futur Cardinal Armand Razafindratandra : sur les tables trônait sans ostentation, ni honte, la bière nationale.
La présence de la bière ou du vin (et d’autres breuvages encore plus «titrés») n’a jamais rien eu de scandaleux en ces lieux. Il suffit de citer Adrien Boudou, s.j. : «À ces oeuvres principales de l’évangélisation et de l’enseignement, d’autres venaient se joindre dont on appréciera facilement l’importance : deux léproseries ; deux grands dispensaires et plusieurs petits, avec une importante pharmacie ; l’imprimerie avec un atelier de reliure ; trois ateliers : forge, ferblanterie, menuiserie ; une BRASSERIE ; enfin un observatoire astronomique, météorologique et magnétique» (in La mission de Tananarive, Imprimerie catholique, 1941, p.82-83).
Ou Paul François de Torquat s.j., dans son livre «Le Collège Saint-Michel 1888-1988» : «Le raisin de la propriété d’Ambohitraivo arrive par charrettes entières : c’est que le collège fait aussi son vin...» (p.96) ; «Dans les annales de l’époque (NDLR : 1938), on signale l’arrivée massive de raisins d’Ambohitraivo pour fabriquer le vin dans la cave au-dessous de la chapelle» (p.101).
La «bière d’abbaye» n’est pas une légende moyenâgeuse ni une récupération marketing moderne : de la bière fut réellement brassée par des moines catholiques. Parce qu’au Moyen-âge, on risquait moins de mourir d’une pinte de bière ou d’un verre de vin que d’une gorgée d’eau contaminée. L’eau pour fabriquer la bière étant préalablement bouillie, base essentielle avant la découverte des vertus aromatiques et conservatrices du houblon ou des possibilités offertes par la fermentation basse, boire de la bière permettait de se désaltérer sainement. C’est en l’an 816 que vit le jour le premier cloître brasseur, à Saint-Gall, en Suisse.
Sur le site des «Belgian Brewers», on peut lire, à propos des bières belges d’abbaye reconnues, l’exigence de critères rigoureux : un lien avec une abbaye existante, un fond historique (l’abbaye doit avoir existé dans le passé et doit avoir brassé). Parmi les bières belges d’abbaye, Leffe, Grimbergen, Affligem, des bières qu’on retrouve (enfin) facilement sur les rayons de supermarchés de Madagascar.
Les Trappistes ou «Ordre cistercien de la Stricte Observance» est un ordre religieux contemplatif de l’Église Catholique Romaine composé de monastères de moines et de monastères de moniales (ocso.org). Mais, le mot «Trappiste» est désormais plus connu comme label d’authenticité et de qualité de la bière éponyme. Chimay, Orval, Westmalle, pour ne citer que celles-ci, sont d’authentiques bières trappistes. Les moines trappistes sont à ce point jaloux de leurs savoir-faire brassicole qu’ils ont créé le label ATP (Authentic Trappist Product) dont, par exemple, Achel avait été destituée en 2021 parce que cette bière n’était plus brassée sous la supervision de moines sur place.
On peut prêcher la vertu de tempérance et garder un esprit de discernement. Dans ses «Rétrospectives 1943», le Père François Rastoul, alors professeur d’Humanités au Collège, conseillait à ses élèves de «savoir sacrifier le présent à l’étude du passé pour préparer l’avenir». Sacrifier cette fête 2024, pour passer en revue les 160 années de présence jésuite à Madagascar, et préparer un 2025 sans objections ni murmures.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja