Espoirs utopiques

Alors que son inspiration avait atteint un niveau qui allait lui faire accéder à une postérité qu’il n’imaginait sûrement pas à l’époque, Thomas More est emporté par son imagination dans un univers parallèle où l’esprit effectue un voyage de cent quatre-vingts degrés et atterrit dans un pays où sont valorisés les contraires des vices de la société anglaise de son temps : la propriété privée est annihilée au profit du communisme, l’éducation et les loisirs sont sacralisés... Cette contrée idéale porte un nom qui sera consacré dans le langage courant : Utopia. Et depuis, l’utopie connaît des accès de résurgence, arborant différents avatars.

Quand le talent créateur de l’homme voit la détresse que peut lui infliger le présent, il devient, aisément, sensible à la puissance accaparatrice du rêve qui l’emporte vers des  pays de Cocagne où s’effacent, le temps où le rêve le possède, les maux sociaux que la réalité fait subir aux cœurs meurtris. Et c’est alors que Tommaso Campanella emmène ses lecteurs à La Cité du Soleil (1602) où règne la sagesse, ou qu’Étienne Cabet nous prend comme compagnons de traversée pour son Voyage en Icarie (1804), une cité dans laquelle s’épanouissent les idéaux du socialisme comme l’égalité. Et à Madagascar, l’utopie a encore de beaux jours devant elle.

Les blessures de la pauvreté et les morsures de la misère sont propices à l’affirmation de la mainmise de l’utopie, exploitée alors comme arme de séduction imparable, d’une efficacité prouvée maintes fois, pour attirer l’attention et... les suffrages. Les voix sont facilement conquises, en période électorale, par ceux qui maîtrisent l’art de faire miroiter, dans un éclat le plus aveuglant possible, un univers onirique qui invite à un enivrant périple dans lequel la lucidité se perd dans un étourdissement hypnotique.

Si pour d’autres penseurs qui ont cédé à la tentation de l’utopie, une société idéale est celle qui s’appuie avant tout, comme dans La Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon, sur les piliers que sont la science et la technique, ou sur le maintien d’une harmonie communautaire comme dans les phalanstères fantasmés par Charles Fourier, nos acteurs politiques voient dans le dénuement et les pénuries chroniques, subis par un grand nombre d’électeurs, des sources inépuisables de rêves à vendre, de promesses qui dépassent le champ des compétences du siège législatif convoité.

L’utopie, selon Ernst Bloch dans son ouvrage Le Principe Espérance (1954), n’est pas condamnée, par la fatalité, à rester dans l’imagination car elle peut être vue sous la modalité du possible. Mais pour qu’elle puisse transcender le domaine du rêve et s’incarner dans le vécu, passer du possible au réel, elle doit être alimentée par l’action qui peut la transformer en moteur de ce que Rousseau appelle la perfectibilité de l’homme. Mais que peut-on espérer quand les capacités sont empoisonnées par la culture du “moramora”?

Fenitra Ratefiarivony

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