Des idées, mais quelle idée !

Initiative lancée par l’Institut Français de Paris, en 2016, «La nuit des idées» a depuis fait flores : de Tokyo à Buenos Aires, de Prague à Sydney, en passant par Lisbonne, Bucarest,  Katmandou, Beyrouth, Lagos, New York ou Antananarivo. Il s’agit, pour «les lieux de savoir et de culture», de décliner selon les sensibilités locales un thème unique sur le mode de la libre circulation des idées. 

En guise d’édito à cette déclinaison malgache de la neuvième édition de «La Nuit des idées», plutôt que de prophétiser l’avenir, je m’astreignis à passer en revue le thème des précédents millésimes. Droit d’inventaire ? À la Prévert. 

«Lignes de failles» (2024). Nouvelles approches. Celle du sacrifice de Malala Yousafzai (née en 1997) en faveur de la scolarisation des filles dans un monde d’obscurantisme religieux ? La surexposition de Greta Thunberg (21 ans) qui ne lui épargne pas les controverses : «fabuleuse militante écolo» ou «hystérique dangereuse» ? Ou la campagne presque anonyme, à l’ancienne, d’une Lady Diana (1961-1997) contre les mines anti-personnelles à laquelle, finalement, son décès brutal aura donné une visibilité mondiale. Faille générationnelle... 

«Plus ?» (2023). Une histoire de phonétique : plusse ou plu ? Au moins, conscience est prise qu’il faut agir «plus» pour «plus jamais ça». Plus pour moins : moins d’oxyde de carbone, moins de plastique, moins de déchets. «Less is more» conseillait le maître architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), dans son éloge de la simplicité. La maison commune en «maison d’architecte». 

«(Re)construire ensemble» (2022). Le combat cessa, faute de combattants. Heureusement, si l’humanité eut à se compter et psalmodier machinalement des «RIP», les survivants se remirent à faire ce qu’ils savent faire le mieux : vivre. Après cette épreuve, ont-ils pour autant appris à mieux vivre ensemble...

«Proches» (2021). Les Belges l’ont décliné en «Frontières, nos limites ?» et en donnant pour consigne aux intervenants : «No limit». Pourtant, les frontières furent celles des égoïsmes nationaux officialisés en égoïsmes d’État quand des livraisons de masques ou de vaccins anti-Covid s’arrachaient sur les tarmacs d’aéroport. Ou quand l’espace sans frontières par excellence, Schengen, réhabilita les frontières intérieures : confinement, quarantaine ! «Proches», également, tant des nôtres, emportés sans retour. 

«Être vivant» (2020). Il faut de l’humour pour apprécier rétrospectivement ce pressentiment sarcastique. Sans doute que le thème avait été arrêté quelques jours avant que l’OMS n’officialise un «état d’urgence de santé publique de portée internationale», le 30 janvier 2020. Quand le «patient zéro» avait été détecté le 1er décembre 2019, aucune imagination, ni au pouvoir ni ailleurs, ne pouvait prédire cette hécatombe : entre 13 et 17 millions de morts du Covid ? (source : OMS). 

«Face au présent» (2019). Le «présent» de janvier 2019 appartient à une autre époque. Une sorte de préhistoire. Avant Covid, comme on dit avant J.-C.. L’humanité aura vécu la pire catastrophe collective depuis 1939-1945. «Hier appartient à l’histoire. Demain reste un mystère. Aujourd’hui est un 

cadeau. C’est bien pourquoi on l’appelle présent», disait Oogway Le Sage. «The present» de 2019 était littéralement «a Gift».

«L’imagination au pouvoir» (2018). En référence aux graffitis de mai 1968, semble-t-il. «Marx, Mao, Marcuse !». Herbert Marcuse, Max Horkheimer, Theodor Adorno : les noms des philosophes de l’École de Francfort, confrontés à l’adhésion de masse aux dictatures autoritaires des années trente, resteront associés au «Making Of» intellectuel des mouvements de protestation des années soixante. Partout où les idées pouvaient circuler sans frontières, la «jeunesse de tous les pays» fut contre l’autorité : de la police et de l’armée, de la famille, de l’église, de l’entreprise, du parti. Également anti-capitaliste et pourfendeuse de la société de consommation, elle était en quête de styles de vie alternatifs et de toutes les libertés : «il est interdit d’interdire». Il serait intéressant d’étudier à quel point l’effervescence des années 1960 sur les campus américains ou la violence du mai 1968 français avaient pu influencer, ou pas du tout, le mai 1972 malgache. Selon les (jeunes) acteurs du mai 1972 malgache, leur forme de marxisme était finalement imprégnée d’idéologie chrétienne, la catégorie stigmatisée des «madinika» symbolisant les sans voix, exclus de la répartition équitable et privés de respect. Un idéal de liberté individuelle, une exigence de réelle indépendance pour le pays, un rêve juvénile de changer le monde. Cette jeunesse-là avait voulu changer le monde, vaste programme souvent exposé à la désillusion. 

«Un monde commun» (2017). Combien aura-t-il fallu de millénaires pour que, de la «Révolution industrielle» en Europe, au «rattrapage» par les nouveaux pays émergents, en passant par «le peuple à la poursuite de la forêt» à Madagascar, nous nous rendions compte vivre sous le même parapluie d’ozone...

«Le monde de demain» (2016). Paris, capitale mondiale d’effervescences culturelles et d’émulation intellectuelle. «Fête de la musique», hier. «Nuit des idées», en 2016. Désormais à l’agenda français et international, comme le revendique fièrement l’Institut Français. On souhaite à «La nuit des idées» le même succès populaire qu’est devenue «La fête de la musique» : rayonner hors des centres culturels, bibliothèques, universités, écoles, musées et cinémas. Quitte à éblouir la nuit. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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