Écriture addictive

Mes amis peuvent témoigner que je peux parfois «chroniquer» dans des conditions bien peu orthodoxes. Peut-être parce que la Chronique n’est pas seulement une «opinion», mais déjà une thérapie. 

Depuis les années collège-lycée, avec les heures de «gym» obligatoire, je n’ai plus jamais pratiqué un sport. Marcher, locomotion naturelle de l’humain, ne peut pas être sérieusement un sport. Autrefois, j’avais un moyen «physique» d’évacuer cette tension si caractéristique sur les muscles de la nuque et des épaules : lassé d’interminables révisions, j’abandonnais livres et fiches pour m’emparer d’un «angady» et creuser un trou dans le «tokotany» que mes parents avaient grand. 

Un coup de bêche après l’autre, sans trop réfléchir à la finalité de la chose. S’enfoncer progressivement dans la terre, se retrouver les yeux à hauteur du sol. S’étonner de rencontrer des «vestiges» (mandibule fossile, tesson mystérieux, caillou énigmatique) qui conduisent à imaginer la vie de céans antan. Face aux strates, plus ou moins sombres selon leur ancienneté, et sans doute également leur composition, je remontais déjà le temps. Dans mon trou ridicule, j’étais en voyage. 

Pendant ces activités-là, dont l’essentiel finalement était de s’abrutir d’efforts physiques pour échapper à un surmenage intellectuel, je n’adressais la parole à personne. Au début, les parents s’inquiétaient de cette étrange manie : sans doute perplexes que tant d’années d’études, au demeurant sérieuses, ne mèneraient qu’à une vocation de terrassier. Mais, une fois qu’ils avaient trouvé quelle utilité donner à cette tranchée, ils haussaient les épaules et s’en allaient. 

Les fois où l’on avait la certitude que les pourtant nombreuses brassées de feuilles mortes ne rempliraient jamais ma fosse improvisée, il fallait la combler. Et c’est une inconnue, qui continue de me tarauder, que la terre excavée excède immanquablement le volume qu’elle occupait auparavant. 

Tout à l’heure, exténué d’une tension qui n’avait rien de physique, j’ai saisi mon Azerty comme je m’emparais jadis d’un angady. 

Écrire m’est un besoin. J’en avais tenu des «carnets», très personnels, avant de me trouver un public que je remercie de pouvoir faire de ma passion un travail «qui n’en est pas un». Ne contraignons jamais les enfants à faire ce qu’ils n’aiment pas, même s’il est humain que les parents veuillent réussir par procuration. «Écrire est une façon de parler sans être interrompu», disait Jules Renard. Et comme les discoureurs qui aiment s’écouter parler, j’avoue aimer ces mots et ces phrases de ma trouvaille. «Diarrhée scripturale» se moquait Pierre Ranjeva à mes débuts chez Jureco. Écrire, mais pas des éditos qui se veulent impersonnels et s’efforcent à l’objectivité malgré un vieil atavisme de partialité. «Chroniquer» donc, à la première personne du singulier. Être sa signature ou signer de tout son être. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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