Précipitations pensives

Antananarivo est le théâtre d’un affrontement entre l’ordre naturel, cosmique, et les caprices chaotiques humains. Les chutes liquides, expressions naturelles du cycle cosmique de la succession des saisons, se déversent sur la ville, dont la géologie a été maintes fois défigurée par les besoins humains démesurés qui semblent inlassables. Et quand la nature veut reprendre ses droits, elle donne naissance à de nouveaux cours d’eau provisoires car leurs lieux naturels ont été balayés.

Et dans cette invasion liquide, à travers laquelle mère nature se venge, en détériorant les œuvres des mains de l’homme, ce dernier est emporté dans une frénésie de confusion et la pluie emporte avec elle les débris de discipline qui restent. Et c’est alors que, dans cette « noyade », on a du mal à nager dans les eaux tumultueuses des embouteillages où s’exacerbe le charivari du chant de la pluie rejoint par la cacophonie folle des klaxons. Plongé dans ces instants d’immobilisme forcés par les fouets dissuasifs et redoutés de la pluie, l’esprit peut se réfugier dans ce privilège qui est le sien : la pensée.

Et nos méditations peuvent nous emporter jusqu’à la philosophie stoïcienne qui apprend à sentir le nécessaire ordre cosmique et qui invite à la sagesse qui consiste à l’accepter et à s’y insérer en adaptant notre capacité de juger aux volontés de la nature. Les pluies sont alors des prétextes à des exercices stoïciens qui forgent la patience et la sérénité, conditions nécessaires à la victoire dans l’épreuve où on doit dompter nos désirs auxquels la nature est indifférente.

Mais l’existentialisme sartrien peut aussi surgir au milieu de ces agitations pour nous rappeler notre liberté, que les embouteillages ne peuvent entamer, le choix sur l’action à adopter ne nous est pas arraché. Résonne alors un appel à la responsabilité : que faire dans ces durs moments qui voient notre liberté d’agir entravée ? Et c’est alors que la ville est un écran où se projettent les conséquences du choix populaire de l’indiscipline.

Quand le chacun pour soi devient la règle qui prévaut, la voix de Thomas Hobbes peut aussi émerger et décrire ce qui s’y passe comme une sortie hors de la civilisation et une adhésion à l’état de nature où règne la loi du plus fort qui est résumé par la citation de Plaute que Hobbes a empruntée :  « l’homme est un loup pour l’homme ». L’indiscipline que la pluie suscite est une mise en veille du civisme, supplanté par l’égoïsme qui n’a comme horizon que la survie immédiate.

Mais voilà qu’on entend les moteurs redémarrer et nous réveiller de nos pérégrinations oniriques. L’unique choix qui s’impose, maintenant, est d’avancer de quelques centimètres de plus, un petit pas qui réduit la distance, encore considérable, qui se dresse entre nous et le chez-soi.

Fenitra Ratefiarivony

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