Aquatique ironie

Alors qu’on est dans la saison où la nature est dans sa phase généreuse et prodigue, la technique humaine peine, paradoxalement, à remplir sa mission qui est de faciliter les vies bien trop souvent compliquées. Pendant que l’eau manifeste une envahissante omniprésence, elle se fait désirer dans nos robinets. Une des illustrations du paradoxe malgache, une litanie qui parasite les esprits : la disette au milieu de l’abondance.

L’eau que nous offre mère nature peut parfois être sous le signe de l’excès : une quantité qui submerge les rues dont les plus fragiles ne sortent pas indemnes ou qui inondent des villages qui n’ont pas demandé autant d’élan de bienveillance du ciel. Et nonobstant la teinte liquide que prennent nos quotidiens, l’eau fuit les ménages. Les coupures d’eau se font de plus en plus courantes.

On vit alors le supplice de Tantale, ce roi mythique qui, dans un mouvement de défi, a offert subrepticement son fils à manger aux dieux et qui a reçu comme châtiment une faim éternelle, jamais assouvie par les fruits qui sont à portée de sa vue mais qui prennent le large à mesure qu’il s’en approche. Et ainsi peut aussi se matérialiser notre détresse : l’eau, qui sature notre champ de vision, déserte nos salles d’eau.

Si pour Thalès de Milet, l’eau est l’élément primordial d’où tout découle, elle est, pour nous, celle qui apporte des ravages tout en conservant son essence vitale, un côté magnanime qui joue la carte de la rareté dans nos foyers où elle est victime des failles des mains humaines, de la technique qui est dépassée et qui bute sur ses limites, privant de précieuses heures de la journée de l’or bleu.

L’eau qui a, pour l’homme, un visage ambivalent qui affiche une ambiguïté où sont présentes, à la fois, la destruction et la bienveillance, semble surtout montrer une face où l’amitié s’est un peu effacée pour arborer celle de l’affirmation de sa supériorité qui peut mettre à mal la mégalomanie humaine et son désir insatiable de tout contrôler. L’eau, qui remplit pourtant nos journées d’été, ne se plie pas à la puissance, qu’on croyait immense, de la technique.

Comme l’hydre de Lerne, l’eau résiste à nos tentatives de la maîtriser en faisant apparaître des têtes monstrueuses. Le savoir de l’homme se heurte à la résistance opiniâtre de fortes têtes de l’eau qui s’expriment dans ce refus de satisfaire pleinement les caprices humains.

Et alors qu’on croyait donc avoir dompté la nature, que notre orgueil est gonflé par la conviction d’avoir domestiqué l’eau, cette dernière peut encore montrer sa supériorité face aux prétentions prométhéennes de l’être humain qui n’a donc toujours pas atteint le but exprimé par Descartes qui est de devenir «maître et possesseur de la nature.»

Fenitra Ratefiarivony

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