Églises en bisbille

 «Bible et pouvoir à Madagascar au XIXème siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État (1780-1880)», Paris, Karthala, 1991 : la thèse monumentale (non seulement au regard de ses 840 pages, mais par l’amplitude de ses implications socio-politiques) de Françoise Raison-Jourde a posé la grille de lecture d’une rivalité qui plonge ses racines dans le XIXème siècle tananarivien, alors que nous assistons à ses «résurgences contemporaines».

Tandis que le président de la FFKM (en même temps président de la FJKM, née en 1968 de la fusion de la LMS et de la FFMA, deux églises protestantes implantées dès le XIXe siècle, auxquelles se joignit la MPF arrivée au début du XXe siècle), co-présidait un «vovonana» dont la résolution appelle à l’ajournement de l’élection présidentielle en raison de nombreuses anomalies en amont, la conférence épiscopale des évêques catholiques privilégie la souveraineté nationale, via la tenue de l’élection présidentielle, malgré les imperfections qu’elle admet dans la préparation du scrutin : «Nous ne pouvons pas attendre que tout soit parfait». 

J’aurais aimé entendre la conclusion du jésuite Sylvain Urfer qui actait, tout en le regrettant, l’engagement politique du FFKM (cf. «Quand les églises entrent en politique», Politique africaine, n°52, décembre 1993). Et surtout la trop grande proximité d’un prélat catholique avec le régime en place. Pourtant, les ecclésiastiques n’ont pas attendu la création du FFKM (conseil des églises chrétiennes de Madagascar) pour s’exprimer : dès le 23 janvier 1934, les évêques catholiques évoquaient un «juste nationalisme» ; et le 27 novembre 1953, les vicaires et préfets apostoliques évoquaient «la légitimité de l’aspiration à l’indépendance». 

Depuis sa formalisation, en janvier 1980, par les quatre «pères fondateurs» (le cardinal Armand Gaëtan Razafindatandra, ECAR ; pasteur Joseph Ramambasoa, FJKM ; pasteur Ranaivojaona Razafimanantsoa, EEM ; Ephraïm Randrianovona, FLM), le FFKM est devenu une figure majeure de la scène politique : dénonçant l’injustice, portant la parole des faibles, recommandant posture démocratique et actions pour le développement. Mais, au fil des crises politiques, et dans un contexte socio-politique difficile qui met également à mal les repères moraux, le magistère moral du FFKM s’est effrité.  

«L’imbrication du politique et du spirituel» semble, pour ainsi dire, culturelle. Elle remonte à l’époque de Rainandriamampandry : représentant de l’Église du Palais à Ambohidratrimo (1873-1880) avant d’être nommé Gouverneur de Toamasina (1882-1895), et fusillé le 15 octobre 1896, par l’administration coloniale qui le soupçonnait de complicité avec les nationalistes Menalamba. 

Auteur des souvent cités articles «Japana sy ny Japanesa» (le Japon et les Japonais), de 1913, le pasteur Ravelojaona passe pour être le père spirituel de toute une génération, passée par l’Union chrétienne des jeunes gens, qu’il aura initiée à la lecture philosophique. Également soupçonné d’être un mentor des nationalistes du «Vy Vato Sakelika», le jésuite Venance Manifatra (1862-1926), qui fut le premier prêtre ordonné à Madagascar. Le Pasteur Andriamanjato, Maire d’Antananarivo et figure de l’opposition à l’État-PSD dans les années 1960, tout en étant pasteur du temple FJKM d’Ambohitantely, s’inscrira finalement dans leur continuité. Ces situations n’ont jamais fait scandale parce que la notion de laïcité est sans doute à réviser : elle est différente selon que l’on soit hussard de la IIIe République française ou ressortissant d’une culture qui peut revendiquer un autre vécu historique. 

À la fin des années 1990, François Roubaud concluait de ses analyses statistiques que : «Pour les Tananariviens, il ne fait aucun doute que les autorités religieuses doivent intervenir dans le débat public. Mais leur champ de compétence doit aussi être circonscrit. S’ils attendent d’elles une prise de position sur les grandes questions de société, par contre ils considèrent tout aussi massivement qu’elles ne doivent pas directement se mêler de politique. Étant donnée la forte imbrication entre ces deux domaines, il faut voir dans ce résultat la condamnation de la «politique politicienne» dont souffre le pays depuis plusieurs années, ainsi que le rejet unanime de la classe politique [Roubaud, 1997 b, Pierre-Bernard et alii, 1998]. Si les autorités religieuses veulent conserver le prestige moral et la crédibilité que la population leur accorde encore, elles doivent se tenir à l’écart des manoeuvres politiciennes et d’un engagement partisan déclaré. Il leur faut résister aux sirènes des hommes politiques qui cherchent à conforter leur légitimité et à mobiliser leur électorat en détournant et/ou en s’appropriant le crédit dont jouissent encore les autorités religieuses («Religion, identité sociale et transition démocratique à Tananarive : de fidèles en citoyens», in René Otayek (dir.), «Afrique : les identités contre la démocratie», coll. Autrepart, n°10, 1999, p.140). 

Le titre évocateur de Mathilde Gingembre demeure d’actualité : «Match religieux en terrain politique. Compétition entre Églises chrétiennes et chute du régime Ravalomanana à Madagascar» (Politique africaine, n°123, mars 2011). En cette année 2023, ne prenant finalement sur les politiciens aucune supériorité morale, on retrouve chez les chefs d’Église les mêmes divisions, sinon l’ancien clivage partisan de 2009. Avec, cette fois, le risque d’un discrédit collectif. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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