Au-delà du visible

Le 22 décembre 1895, un événement majeur de l’histoire des sciences eut lieu dans le laboratoire du physicien allemand Wilhelm Conrad Röntgen. Plus d’un mois auparavant, le scientifique remarqua qu’un écran était illuminé alors que le tube cathodique qu’il utilisait était complètement recouvert. Il comprit alors qu’un rayon avait traversé le carton sous lequel était enveloppé le tube, mais aussi l’air, le corps humain… Il baptisa alors ce phénomène inconnu rayon X et, depuis, cette découverte a révolutionné la médecine et d’autres secteurs qui l’exploitent.

Les expériences de Röntgen eurent une orientation décisive : elles furent tournées vers cette trouvaille qui devait lui livrer ses secrets. Le 22 décembre 1895, il sut que la chair peut être traversée, mais pas les os, après avoir exposé la main gauche de sa femme aux rayons X, produisant une image ne laissant apparaître que le squelette et l’alliance. Ce fut la première radiographie de l’histoire. Et ce fut à ce moment-là que l’homme put accéder à l’intérieur du corps sans avoir à l’ouvrir. Un pas décisif qui valut à Röntgen le premier prix Nobel de physique, qui lui fut décerné en 1901. Une étape dans le désir intemporel de saisir l’invisible qui a toujours fasciné Homo sapiens.

Deux ans après cette date productive, H. G. Wells publia son roman L’Homme invisible, dans lequel le corps du personnage principal, Griffin, un scientifique, a acquis une transparence qui le rend perméable à la lumière. Cette invisibilité l’a ensuite coupé du monde qui se dérobe à lui. Il est ainsi réduit à n’être qu’un X. Ce qui a été absorbé dans la transparence s’inscrit dans la dissolution. Plus on élimine ce qui est opaque, plus les inconnus apparaissent et surgissent. C’est ce que vécut le protagoniste du film Blow-Up (M. Antonioni, 1966), un photographe qui chercha la vérité en agrandissant une image, mais dont la démarche fit surtout émerger plus de doutes.

Ce fut donc un franchissement des limites du visible : on peut aller au-delà de ce qui s’offre à la vue. Dit comme cela, on semble avoir fait un mouvement platonicien. Mais ceux qui sont familiers avec la métaphysique du meilleur disciple de Socrate savent bien que cela ne nous fait pas, pour autant, sortir de la caverne. Et malgré cette médiation des apports de la science, on reste bloqué dans le monde des phénomènes, coupé de la chose en soi, qu’Emmanuel Kant appelle le « noumène ». Le rayon X n’est qu’une infime partie du réel où le nombre d’inconnus (de X) est infini.

Fenitra Ratefiarivony

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