Trancher le dilemme

Les éléments de langage ont depuis longtemps intégré la corruption comme LE fléau majuscule. On peut supposer que le «Forum mondial des partenariats contre la corruption», organisé par la Banque mondiale à Washington les 8 et 9 avril 2025, n’y avait pas fait exception. 

S’ils font partie du quotidien, pour ainsi dire, les dessous-de-table pourraient être «captés» au bénéfice de l’ensemble de l’administration plutôt que de profiter à des fonctionnaires individuels, si on officialisait des «tarifs» dégressifs : selon que la fourniture du service soit dans l’heure, dans la journée, au lendemain. Les détournements à grande échelle des ressources publiques et de la richesse nationale frappent davantage l’opinion par les millions et les milliards dont on suppose, à juste titre, délestés les hôpitaux, les écoles, les routes, l’eau courante, l’électricité pour tous.  

La corruption introduit un coefficient multiplicateur des inégalités quand elle nuit encore davantage aux plus pauvres, augmentant les coûts et complexifiant l’accès aux services de base. Elle constitue purement et simplement un vol quand elle «suce» l’argent et «bouffe» l’aide en réponse aux situations d’urgence. Cette corruption-là constitue un accaparement privatif des ressources communes dont les dividendes non seulement profitent aux malfaiteurs mais lèsent la communauté.  

Ce n’est pas un hasard si la corruption, en sapant la confiance accordée aux dirigeants, crée une tension socio-politique qui peut déboucher sur une contestation dont font ensuite mine de s’émouvoir les mêmes dirigeants malhonnêtes, criant au scandale quand on leur retire les ficelles de la corruption à échelle industrielle. 

Inéligibilité d’individus et d’entreprises à participer aux projets et opérations financés par la Banque mondiale, interdictions croisées avec d’autres banques multilatérales de développement, réforme de la gestion fiscale pour une plus grande transparence des marchés publics, outil numérique de suivi des performances des services publics... On suppose longue la nomenclature des mesures proposées pour lutter contre une des plus vieilles malversations du monde. 

Il y a déjà vingt ans, dans Finances et Développement de décembre 2004, Anwar Shah et Mark Schacter, tous deux de la Banque mondiale, émettaient une hypothèse que «l’absence de progrès dans le combat contre la corruption pourrait tenir à des erreurs de stratégie», incriminant des «recettes passe-partout» et pointant du doigt «l’échec quasi universel des vastes campagnes de sensibilisation médiatisées et des séminaires et ateliers sur la corruption à l’intention des parlementaires et des journalistes». 

Et pourtant, «une amélioration de 1 à l’écart-type de l’indice de corruption du Guide international du risque-pays donne lieu à une baisse de 29% du taux de mortalité infantile, à une augmentation de 52% de la satisfaction chez les bénéficiaires de soins de santé publique et à un accroissement de 30-60% de la satisfaction du public devant l’amélioration des routes». 

Les auteurs distinguaient trois types de corruption : la petite corruption bureaucratique ou administrative (les pots-de-vin), la grande corruption (vols ou usages abusifs de ressources publiques considérables de la part d’agents de l’État, souvent membres de l’élite politique ou administrative), la capture de l’État (le secteur privé «capture» l’appareil législatif, exécutif et judiciaire d’un État à des fins personnelles). 

Parmi les causes qui permettent à la corruption de s’installer et de se généraliser, ils avaient diagnostiqué : (1) la légitimité de l’État en tant que défenseur de l’intérêt public est contestée ; (2) l’État de droit n’est pas un principe profondément ancré ; (3) les institutions de responsabilisation sont inefficaces ; (4) les dirigeants n’ont guère la volonté de lutter contre la corruption. 

Leur «approche modulée» distingue trois incidences de corruption. Une incidence «élevée» signale une gouvernance «médiocre» ; une incidence «moyenne» témoigne d’une gouvernance «assez bonne» ; une incidence «faible» caractérise une gouvernance «bonne». Cette typologie débouche cependant sur un dilemme : les pays qui ont le plus besoin d’appui (par exemple de la Banque mondiale) dans la lutte contre la corruption sont justement les moins susceptibles de solliciter cette aide. Les régimes à gouvernance «médiocre» perpétuent et aggravent la corruption «élevée». 

Dilemme. En Chine, l’ancien ministre de l’Agriculture, accusé d’avoir reçu 32 millions d’euros de pots-de-vin, en espèces et en biens, sur la période de 2004 à 2027, a été condamné à mort le 28 septembre 2025. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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