Nous vivons une époque inédite où la connaissance s’offre presque gratuitement à travers les différents outils et plateformes qu’a produits le numérique. Les divers univers qui accueillent notre esprit et notre attention, qui y accèdent grâce principalement aux écrans, sont des cavernes aux trésors qui renferment la quasi-totalité du savoir. Mais les voies qui y mènent sont, pour beaucoup, moins séduisantes que celles qui conduisent à la frivolité du monde, mortifère pour les capacités cognitives.
L’homme de ce siècle passe l’essentiel de son temps déconnecté du monde dans lequel ses semblables d’autres millénaires ont expérimenté la vie. Dès l’aube, un premier réflexe s’est imposé et enclenche un mécanisme, un engrenage qui se met en mouvement quand nos yeux et notre cerveau sont accaparés par le virtuel. On foule alors une partie d’une toile gigantesque. Bien trop souvent, la destination est exaltante mais remplie de pièges qui capturent l’intelligence et éloignent de la connaissance. Ce milieu est pourtant constitué d’une profusion de régions où jaillissent les eaux vivifiantes du savoir. Et ces endroits sont ceux qui ne reçoivent pas beaucoup de visites. Faut-il alors s’étonner que cette ère d’accessibilité facile à la connaissance est, paradoxalement, celle d’une épidémie de carence intellectuelle qui se manifeste notamment dans les phénomènes scolaires ?
Comme dans le monde sensible, les sources du savoir sont victimes d’un dédain et ses précieux joyaux sont marginalisés au profit de contenus qui sont comme les chants des sirènes, charmants mais possédant un réel pouvoir d’égarement. Combien de publications, qui magnétisent le public, apportent un réel enrichissement aux habitants de l’univers des réseaux sociaux ? Y entrer et y vivre, c’est s’exposer en permanence aux fake news et autres publications chronophages, mais qui n’apportent rien sinon des matériaux pour les commérages. Ailleurs pourtant, dans d’autres endroits de cet univers, presque l’intégralité de ce que l’homme sait attend d’être découverte.
Le Web peut être comme la soma, la drogue dont la consommation procure un bonheur artificiel dans le roman Le Meilleur des Mondes (A. Huxley, 1932). Comme dans l’histoire narrée dans cet ouvrage, le divertissement, en grande partie offert par les sites et les pages les plus populaires, éloigne de l’essentiel. Quand les distractions ont une mainmise implacable, le savoir est mis à l’écart. Il n’est pourtant plus, comme avant l’avènement de l’imprimerie, l’apanage des privilégiés, des élites qui savaient lire et écrire. Les individus d’aujourd’hui sont parmi les plus chanceux de l’histoire. Mais en sont-ils bien conscients ?
Fenitra Ratefiarivony