CONFÉRENCE SUR L’OCÉAN - NICE - La protection de la haute mer en toile de fond

La 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3) s’est tenue à Nice, France, du 9 au 13 juin. Sur le plan diplomatique, le principal objectif a été d’accélérer le processus de mise en œuvre du traité des Nations unies sur la haute mer. L’événement s’est conclu sur des avis mitigés par rapport à la portée de l’acte, particulièrement sur la question des exploitations minières en eau profonde.

Li Junhua, secrétaire général adjoint des Nations Unies (a.g), le ministre Arnoldo André Tinoco (a.c), et Olivier Poivre d’Arvor (a.d), faisant face à la presse, hier.

C’est gagné». C’est en ces mots qu’Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial de la République française pour la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), a exprimé son satisfecit quant aux acquis de l’événement. Un sentiment de mission accomplie, surtout par rapport aux acquis sur le processus de mise en vigueur du traité onusien sur la protection de la biodiversité en haute mer, traduit de l’anglais «Biodiversity Beyond National Jurisdiction», qui est également désigné sous le nom de traité sur la haute mer.

L’UNOC 3, co-organisée par la France et le Costa Rica, à Nice, s’est déroulée du 9 au 13 juin. Le but étant de booster l’atteinte de l’Objectif de développement durable numéro 14 (ODD 14), qui consiste en la conservation et l’exploitation de manière durable des océans, des mers et les ressources marines aux fins du développement durable. Dans l’ensemble, les différents acteurs qui ont pris part aux débats s’accordent à dire que la Conférence s’est achevée avec «des avancées significatives», particulièrement, sur la question du traité BBNJ.

C’est sur la protection de la haute mer, en effet, que s’est concentrée directement ou indirectement, l’essentiel des débats, des plaidoyers et des négociations politiques durant et en marge de l’événement. L’objectif était d’atteindre le quorum de soixante États ayant ratifié le traité pour qu’il soit effectif. Durant la conférence de presse de clôture de l’UNOC, jeudi, l’envoyé spécial de l’État français et Arnoldo André Tinoco, ministre des Affaires étrangères du Costa Rica se sont félicités d’avoir «gagné la partie».

Cinquante États ont ratifié le traité jusqu’à l’heure. Seize autres se sont engagés à le faire durant le prochain sommet des Nations unies, en septembre. Même la Chine s’est engagée à ratifier le traité sur la haute mer. Une fois le quorum atteint, l’acte prendra effet après un délai de cent-vingt jours. Une entrée en vigueur est prévue dès les premiers jours de janvier 2026, sauf revirement. Adopté en 2023, le traité a vocation à être juridiquement contraignant.

Mécanismes de financement

En complément de la convention internationale de 1982 sur le droit de la mer, le traité vise à réglementer les activités humaines dans les zones maritimes au-delà des juridictions nationales qui abriteraient 60% de la biodiversité marine. «Les grands fonds ne peuvent pas devenir un Far West», a notamment déclaré António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, en ouverture de l’UNOC, lundi. Ainsi, le traité a aussi pour objectif d’élargir les aires protégées marines, d’en créer même en haute mer.

L’acte veut également renforcer l’appui à la recherche scientifique, renforcer le transfert de capacité et de technologie marine. Par ailleurs, il prévoit le «partage équitable», des bénéfices de l’exploitation des ressources génétiques marines en haute mer, souvent utilisée en pharmacologie et en biotechnologie. Olivier Poivre d’Arvor ajoute que des mécanismes de financement sont également prévus pour soutenir les pays insulaires et en développement pour l’adaptation aux standards de protection des océans.

«L’accord de décarbonation du transport maritime devrait conduire à des fonds de 10 milliards d’ariary par an, destinés à l’appui des pays insulaires. Les navires qui dépassent un certain seuil de carbonation devront payer des taxes supplémentaires», explique l’envoyé spécial de la France. En réponse à une question sur l’intérêt de Madagascar d’adhérer au traité BBNJ, il indique que cela permettra d’avoir accès à des soutiens et à des aides. Outre la question financière, la lutte contre la pêche illicite est un des arguments martelés.

Si les acteurs politiques et diplomatiques crient victoire, des Organisations non gouvernementales (ONG), comme Greenpeace, regrettent cependant que le rendez-vous de Nice s’achève sans avancée majeure sur le moratoire sur les exploitations minières en eau profonde. «La ratification du Traité sur la haute mer est à portée de main, mais les avancées réalisées ici à Nice semblent creuses alors que la conférence se termine sans engagements concrets pour arrêter l’exploitation minière en eaux profondes», déplore Megan Randles, cheffe de la délégation de Greenpeace.

Le grand absent

Une absence annoncée, mais remarquée. Les États-Unis ont été le grand absent de l’UNOC 3. Selon des sources diplomatiques et des membres de la presse américaine, Donald Trump, président américain, a informé le Secrétaire général des Nations unies que son administration n’aura pas de représentants officiels à la Conférence. Des figures politiques américaines dont, notamment, John Kerry, ancien secrétaire d’État et envoyé spécial des États-Unis pour le climat sous l’administration de l’ancien président Joe Biden, ont tout de même fait acte de présence à Nice.

Néanmoins, la posture climatosceptique de l’administration Trump, ainsi que son refus de ratifier le traité BBNJ ont suscité des interrogations sur la force exécutoire de l’acte lorsqu’elle sera mise en vigueur. Au-delà de la force dissuasive américaine, il y a aussi l’intention du locataire de la Maison blanche d’ouvrir l’extraction à grande échelle de minerais dans les grands fonds océaniques, y compris en eaux internationales. «Les océans sont des copropriétés. Ce n’est pas parce qu’un copropriétaire n’adhère pas qu’on ne va pas avancer», réplique l’envoyé spécial français, Olivier Poivre d’Arvor, sur le sujet, en ajoutant, «la protection doit devenir la règle et l’exploitation une exception».

Une responsable onusienne ayant contribué à l’élaboration du traité relativise la situation, en notant que les États-Unis ont signé le traité du temps de l’ancien président Biden. «La politique américaine peut toujours évoluer. Le président Trump n’a qu’un mandat de quatre ans», ajoute-t-elle avec le sourire. Une opinion que partage Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara Océan, qui mène des expéditions scientifiques dans les mers du monde.

Un moratoire peu convaincant

La France et le Costa Rica sont les co-organisateurs de L’UNOC 3. Les présidents des deux pays, Emmanuel Macron et Rodrigo Chaves Robles (debout au milieu), ont été élus pour présider la Conférence de Nice.

Durant l’UNOC 3, la France a mené des négociations sur un autre front. Il s’agit de fédérer le plus d’États à soutenir le moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes. Trente-trois pays, y compris la France, l’ont fait au début de la Conférence. À l’issue de l’événement, seulement quatre nouveaux pays sont venus renforcer leurs rangs. Les États qui soutiennent le moratoire s’engagent «à appliquer le principe de précaution, et à soutenir à minima une pause de précaution sur l’exploitation minière des grands fonds marins».

Cette position s’appuie sur les rapports et analyses scientifiques publiés ces dernières années selon lesquelles les grands fonds sont le refuge d’une biodiversité encore très largement inconnue, et qu’il faut préserver, arguent les États soutenant le moratoire. «Nous voulons réaffirmer un principe : protéger les écosystèmes des grands fonds marins est un impératif non seulement juridique mais surtout scientifique, environnemental et économique», soulignent-ils, dans une déclaration conjointe publiée, le 9 juin.

Ils mettent aussi l’accent sur le caractère «primordial», du respect du cadre juridique et environnemental international applicable aux grands fonds marins et soutiennent que «les ressources minérales des grands fonds marins dans les zones au-delà des juridictions nationales sont le patrimoine commun de l’humanité en vertu du droit international, (...) et doivent dès lors faire l’objet d’une gestion collective et responsable (...) pour le compte de l’humanité tout entière».

Emmanuel Macron, président français, qui a mené l’offensive diplomatique en faveur du moratoire parle de «nécessité internationale». Il déclare, «je ne suis pas du tout contre l’activité économique, bien au contraire. Mais je pense que c’est une folie de lancer de l’action économique prédatrice qui va bousculer des grands fonds de marins qui bousculent la biodiversité, qui la détruit, qui libère du carbone irrécupérable quand nous n’y connaissons rien. C’est de l’obscurantisme que de faire de l’exploitation avant d’avoir commencé l’exploration».

Vers un traité contre la pollution plastique

António Guterres, secrétaire général des Nations unies, prononçant l’ouverture officielle de l’UNOC 3, le 9 juin.

Toujours dans le cadre de la protection de la biodiversité marine, la Conférence de Nice a permis d’avancer sur les discussions menant vers un traité contre la pollution plastique. Il s’agit d’un fléau mondial dont les États côtiers et insulaires comme Madagascar, sont particulièrement victimes. Quatre-vingt-quinze pays ont ainsi signé une déclaration commune portant sur cinq points : appeler à l’adoption d’un objectif mondial de réduction de la production et de la consommation de polymères plastiques primaires.

Mettre en place une obligation juridiquement contraignante pour éliminer progressivement les produits plastiques les plus problématiques et les substances chimiques préoccupantes.

Améliorer, par une obligation contraignante, la conception des produits plastiques et s’assurer d’un impact environnemental minimal.

Se doter d’un mécanisme financier à la hauteur des ambitions du traité pour soutenir sa mise en œuvre efficace.

S’engager en faveur d’un traité efficace et ambitieux qui peut évoluer dans le temps et réagir aux changements des preuves et des connaissances émergentes.

Les engagements de Nice pour l’océan

Le président Andry Rajoelina exhorte à une mobilisation internationale et de l’action.

La 3e Conférence des Nations unies sur l’océan a rassemblé des représentants de cent soixante-quinze États, dont soixante-quatre chefs d’État et de gouvernement, vingt-huit responsables d’organisations onusiennes, intergouvernementales, régionales et internationales, cent-quinze ministres et douze mille délégués. Ce qui représente plus de 90% des Zones économiques exclusives (ZEE), du monde, ainsi que 85% des ressources mondiales liées à l’océan affirment les organisateurs.

Les cinq jours de l’UNOC 3 ont été conclus par les engagements de Nice pour l’océan qui consistent à : Construire une gouvernance équitable fondée sur le droit et la justice, assurer un pilotage à 360° de tous les acteurs et instances liés à l’océan, renforcer le multilatéralisme pour répondre à la dégradation généralisée de l’état de santé de l’océan, mettre un frein radical à la pêche INN et à la surpêche.

Financer, développer fortement et disséminer la connaissance de l’océan, y compris les savoirs traditionnels, au profit de tous les acteurs ; protéger les scientifiques et accompagner leurs travaux.

Mobiliser d’importants nouveaux financements publics et privés et développer une économie bleue durable et profitable aux populations, pour atteindre les cibles de l’ODD 14, planifier la décarbonation totale des activités maritimes d’ici 2050.

Lutter contre toutes les formes de pollution ; préserver la ressource océanique et la biodiversité des écosystèmes marins, dont ceux des grands fonds marins, et faire face aux effets du changement climatique.

Accélérer l’engagement des acteurs régionaux et locaux, les coopérations à l’échelle d’ensembles géographiques ou de bassins océaniques.

Appels à l’action

Photo d’un événement en marge de l’UNOC 3, lors duquel la COI a présenté la feuille de route régionale sur l’économie circulaire, lundi.

Une mobilisation internationale par un renforcement du multilatéralisme est affirmée comme la clé de la réussite des engagements de Nice, notamment, de la force exécutoire du traité sur la haute mer. Dès le début de la Conférence, les appels à traduire les discours en acte ont résonné. Des appels à l’action venant surtout des États insulaires, dont Madagascar. «Ce sont nos actes et non pas nos discours, qui mesureront nos engagements», a déclaré Andry Rajoelina, président de la République, lors de sa prise de parole durant le premier débat général de l’UNOC 3, le 9 juin.

Le locataire d’Iavoloha soutient que protéger les océans «est un devoir, une urgence, et cela doit être un acte collectif», en ajoutant que l’événement de Nice devait être une occasion pour «accélérer l’action». Le renforcement des financements est au cœur de ces appels à l’action. Comme l’affirme Andry Rajoelina, il est nécessaire, «afin que les États insulaires comme Madagascar et les îles de la région Indianocéanie puissent gérer durablement leurs ressources marines». Le Secrétaire général des Nations Unies reconnaît justement que «les États insulaires en développement ont besoin d’aide pour renforcer leur résilience et prospérer dans l’économie bleue».

Appliquer le principe du pollueur-payeur

Portant la voix des îles de la région Indianocéanie, la Commission de l’océan Indien (COI), a également mené un plaidoyer pour des actions concrètes durant la Conférence onusienne, à Nice. L’idée est de «mettre les pays pollueurs face à leur responsabilité», et ainsi que le principe du « pollueur-payeur » devienne une règle, mais surtout que cette règle soit appliquée. Les participants à l’UNOC 3 s’accordent sur un point. Les pays insulaires, dont ceux de la COI, sont loin d’être les responsables de la pollution, de la dégradation et de la surexploitation des océans.

Tout comme ils ne sont pas responsables du changement climatique, mais dont ils en sont les premières victimes, les États insulaires sont aussi les premiers à subir les conséquences de la dégradation des mers et des océans. Le Président français concède qu’il y a «une double injustice», en notant que «c’est un pillage des ressources halieutiques, de ceux qui n’ont pas les moyens de se défendre». Appliquer le principe du « pollueur-payeur », est alors une manière de réparer cette injustice.

À cet effet, durant la Conférence de Nice, la COI, de même que ses États membres, ont plaidé pour une hausse du financement, mais aussi pour une facilitation de l’accès aux fonds, en tenant compte de la vulnérabilité de ces pays face aux conséquences de la dégradation des océans. Le mécanisme de financement prévu par l’accord de Paris, adopté durant la COP 21 ou la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, en décembre 2015, est indiqué comme devant permettre cette hausse du financement.

Garry Fabrice Ranaivoson   

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