Voile d’incertitude

Avant même que l’esprit du suspense ne s’installe et ne possède le monde, les cardinaux l’ont devancé. On ignore les pourparlers qui ne sortiront peut-être jamais des murs de la Chapelle Sixtine. Étant de simples spectateurs, nous n’avons eu droit qu’au dénouement, à l’ovation de celui qui a, désormais, en main, les clés de la grande maison de l’Église catholique romaine. On retiendra de ce conclave qu’il fut le quatrième de suite à se trouver sur cette trajectoire qui a dévié du monopole des Italiens, possesseurs du trône papal pendant plus de quatre siècles.

Alors que la fumée blanche sortait de la plus célèbre des cheminées, qui a occupé le devant de la scène pendant moins de deux jours, les quarante-cinq minutes qui suivirent furent celles des spéculations dans lesquelles la probabilité que soit présent le nom de Robert Francis Prévost était quasi nulle. N’étant pas présent dans la liste des principaux papabili (les cardinaux qui ont les faveurs des pronostics des médias), le pape Léon XIV a créé une surprise qui est tout sauf inhabituelle au Vatican. L’histoire récente est remplie de papes qui n’entrèrent dans la lumière qu’après leur élection, étant couverts, avant et pendant le conclave, par les ombres imposantes de leurs frères cardinaux plus illustres, mais chacun d’eux «entre pape au conclave, en sort cardinal.»

Comme dans le cadre de la physique quantique où on ne peut connaître, depuis que Heisenberg l’a mis en évidence, simultanément deux propriétés d’une particule, le conclave, cet autre système complexe, possède aussi son côté ésotérique qui a été dynamique durant les heures des votes : il est aussi soumis au principe d’incertitude. Comme dans le monde quantique, le processus qui a abouti à l’élection du pape est composé de plusieurs inconnues qui résistent à la connaissance humaine, une condition qui lui impose le sceau de l’incertitude.

En 1958, personne ne s’attendait à l’élection de Jean XXIII qui, en moins de quatre ans, a bouleversé l’Église en convoquant le concile Vatican II qui a apporté la modernité. En 1978, l’élection de Jean-Paul II, qui n’était pas parmi les papabili, étant de surcroît polonais, a étonné le monde. Il s’affirmera comme une figure de l’anti-communisme. En 2013, les cardinaux ont à nouveau élu un pape qui n’était pas un favori évident, François, premier souverain pontife issu du rang des Jésuites et du continent américain. L’intronisation de Léon XIV est-elle aussi le début d’un pontificat qui laissera des empreintes indélébiles dans l’histoire ? Pour l’instant, le voile de l’incertitude est encore épais et opaque.

Fennitra Ratefiarivony

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