![]() |
Les parties prenantes lors de la table ronde sur le financement de l’action climatique. |
La Grande île a besoin de plusieurs milliards de dollars pour financer son plan d’adaptation à la nouvelle donne climatique. Des initiatives allant dans ce sens se multiplient mais la partie est loin d’être gagnée.
Selon les dernières estimations, les besoins financiers de Madagascar pour faire face aux défis climatiques s’élèvent à 24.4 milliards de USD jusqu’en 2030 : 11,6 milliards pour l’adaptation, 7,3 milliards pour l’atténuation et 2,8 milliards pour les pertes et dommages. Ces chiffres ont notamment été au centre des échanges lorsque la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) ont organisé une table ronde sur le financement de l’action climatique. Une rencontre inscrite dans le cadre de l’appui à la mise en œuvre du programme de Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD).
Madagascar fait partie des pays les plus exposés aux catastrophes climatiques et figure parmi les cinq nations les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. Inondations, tempêtes tropicales, cyclones et sécheresses ont un impact majeur sur l’économie et les populations. Nombre de ménages malgaches dépendent d’une agriculture vivrière et de cultures pluviales. Aussi, les catastrophes comme la sécheresse ont-elles des conséquences difficilement mesurables sur sa sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations. Et les prévisions montrent que le changement climatique devrait augmenter encore à l’avenir la fréquence et la violence de ces catastrophes.
Il est démontré en outre que les enjeux de lutte contre le changement climatique, qui se manifeste à Madagascar par une multitude d’impacts socio-économiques et environnementaux, se retrouvent intrinsèquement liés aux problématiques de développement : énergie et électrification, aménagement du territoire, transports et croissance urbaine, impacts du climat sur la gestion de l’eau et l’agriculture, effets sanitaires, impacts des catastrophes naturelles, maintien des services écosystémiques, gestion des forêts et conservation de la biodiversité, etc. Tous ces secteurs représentent plusieurs milliards de dollars chaque année.
C’est dans ce contexte que le pays est engagé pour réunir les conditions nécessaires afin de capter plus de ressources, mieux combattre l’insécurité alimentaire qui s’aggrave et adapter son économie à la nouvelle réalité. Ce qui constitue un défi énorme car les fonds nécessaires sont gigantesques. En outre, la population doit encore être sensibilisée et les acteurs du développement, des responsables locaux à la société civile en passant par le secteur privé, sont appelés à mieux cerner les nouveaux enjeux liés au changement climatique pour pouvoir arrimer leurs actions à l’atteinte des objectifs fixés. Certes, de nombreux efforts ont été déployés ces dernières années mais force est de constater que la tâche est immense. D’autant plus que les ressources mobilisées jusqu’ici sont encore très loin des besoins exprimés.
Pour financer les projets de réduction des risques de catastrophes, renforcer les structures locales, protéger son capital naturel ou encore adapter son tissu productif aux exigences en matière de développement durable, les spécialistes estiment que Madagascar a besoin de plus de 4 milliards USD rien que pour les deux années à venir. Et pour obtenir les financements pour combler ce besoin important, les responsables sont amenés à être plus proactifs dans les négociations et plus présents dans les rendez-vous internationaux et régionaux axés sur la finance verte. Il est tout aussi important que le pays améliore la gouvernance des ressources captées à l’international.
Des actions de lobbying à renforcer
Si les engagements des pays riches en faveur des pays rendus vulnérables par le changement climatique sont déjà connus, il est aussi utile de constater que les promesses ne sont pas toujours tenues. Sans oublier que le président américain Donald Trump vient d’acter la sortie de son pays de l’Accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21. Toutefois, les observateurs pensent qu’il existe des motifs d’optimisme. « À leur avis, de l’Europe aux pays asiatiques, en passant par les Open Society Foundations (OSF), les partenaires qui soutiennent financièrement les grands programmes, comme l’Initiative d’adaptation pour l’Afrique (IAA) de l’Union Africaine, vont être plus actifs. »
Et certains disent être convaincus qu’à la place des Américains, d’autres groupes de pays vont financer des programmes stratégiques comme l’Accélérateur de la sécurité alimentaire en Afrique. Ce financement servira à soutenir les solutions innovantes portées par le secteur privé dans l’optique d’accroître la sécurité alimentaire et de mobiliser davantage des co-investissements au profit des projets contribuant à l’adaptation de l’Afrique. De son côté, le ministère allemand de la Coopération économique et du Développement a déclaré qu’en plus de sa contribution remise à l’Union européenne dans le cadre des initiatives Team Europe, l’Allemagne s’est engagée à verser des fonds supplémentaires pour renforcer l’adaptation et la résilience au changement climatique dans les pays africains, dont Madagascar.
Quant à Yamide Dagnet de l’Open Society Foundations, elle a réaffirmé l’intention de son organisation de financer davantage les programmes déjà mis en route, dont le renforcement d’Ecoverse, le projet pionnier de l’Initiative en faveur des communautés rurales. À savoir également que de nouveaux engagements ont été pris en faveur du Fonds d’adaptation. En outre, le Comité permanent des finances de l’ONU sur le changement climatique a préparé un rapport relatif au doublement du financement de l’adaptation, examiné pour la première fois lors de la COP28 à Dubaï.
« Il est maintenant plus nécessaire et plus urgent que jamais de renforcer et d’accélérer les actions d’adaptation au profit des pays vulnérables comme Madagascar. La priorité est de continuer à insister sur la nécessité d’augmenter le financement de l’adaptation à tous les niveaux. Il est essentiel d’apporter des financements significatifs et de faire preuve d’un véritable engagement pour aider des personnes qui sont peu responsables du changement climatique mondial mais qui sont actuellement les plus touchées par ses effets », soutient pour sa part le ministère de l’Environnement et du Développement durable.
Du côté des partenaires techniques et financiers, on fait remarquer que les opportunités pour financer les programmes d’atténuation et d’adaptation aux effets climatiques se multiplient. Par ailleurs, Seyni Nafo, négociateur climatique, souligne que des pays comme Madagascar se réchauffent plus rapidement que ceux dans d’autres partie du monde et doivent renforcer leurs actions de lobbying pour mobiliser plus de ressources. On ne saurait donc suffisamment souligner l’urgence de cette question. D’où la pression mise sur les partenaires comme le Fonds Vert pour le Climat (FVC), les organisations onusiennes, le Climate Emergency Collaboration Group, l’Union européenne, les pays amis ou encore la Fondation Bill et Melinda Gates pour « accélérer le déblocage des fonds et renforcer les ressources».
![]() |
Sensibilisation des populations sur les impacts du changement climatique. |
Plusieurs projets lancés
Selon le gouvernement, la Grande île a pu établir ces dernières années des liens de collaboration conséquents avec des partenaires internationaux. Ce qui a permis d’avancer au niveau de la priorité de renforcer les actions d’adaptation en formant des partenariats avec des institutions et des organisations pour mettre à l’échelle et reproduire les initiatives en cours, et élaborer des propositions de nouvelles initiatives. Plusieurs projets ont ainsi été mis sur pied pour sensibiliser à l’adaptation au changement climatique, faciliter la gestion des connaissances, le développement des compétences et le renforcement des capacités. Des initiatives ont également été entreprises pour faciliter la mobilisation des ressources nécessaires à la mise en œuvre des actions et promouvoir la coopération et les partenariats (aux niveaux sous-régional et régional) pour exploiter les synergies, amplifier et maximiser les avantages.
Madagascar dispose aussi d’un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNA). Ce document, qui a vu le jour 10 ans après l’adoption de la Politique Nationale de Lutte contre le Changement Climatique (PNLCC), fixe la trajectoire que le pays entreprend, sur le plan opérationnel, pour faire face au réchauffement du climat. Madagascar figure aussi parmi les pays qui ont honoré leurs engagements vis-à-vis de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), soulignant ainsi, selon le ministère de tutelle, sa volonté de contribuer à l’effort international pour la lutte contre le changement climatique.
Mais malgré les efforts fournis, nous sommes encore loin du compte. Si le pays est parvenu à se doter d’une gouvernance climatique relativement bien structurée, lui apportant même une certaine avance sur d’autres nations, les initiatives doivent être décuplées pour espérer les 24,4 milliards USD attendus. On insiste aussi sur une plus forte implication des différents acteurs concernés par le changement climatique au niveau des régions lors des différentes consultations. Cela permet de recueillir les informations nécessaires pour évaluer la vulnérabilité des populations et des secteurs d’activité au changement climatique, ainsi que sur les risques encourus.
ADAPTATION - Un défi de taille à relever
![]() |
Madagascar vise une réduction de 28% des émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2030. |
Selon les récentes prévisions du 6e Rapport d’Évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il est prévu que la température mondiale augmente de 1,5oC dès 2040-2060. Ces projections expliquent et mettent en évidence la fréquence des phénomènes extrêmes et leur intensification.
Les phénomènes climatiques extrêmes touchent régulièrement le pays, et altèrent les programmes économiques et financiers. C’est pourquoi les spécialistes estiment qu’il est urgent d’améliorer à tous les niveaux l’adaptation au changement climatique dans les pays les plus vulnérables comme Madagascar. En outre, les émissions de gaz à effet de serre qui augmentent à un rythme inquiétant peuvent faire du pays un émetteur net dans moins de 5 ans, à cause principalement de la déforestation et l’utilisation abusive de combustibles fossiles.
Les financements identifiés dans la Contribution Déterminée Nationale 2 (CDN2) visent une réduction de 28% des émissions de gaz à effet de serre jusqu’ en 2030 et à renforcer la résilience du pays. Les besoins financiers s’élèvent à plus de 20 milliards de dollars jusqu’à la fin de la décennie. La mobilisation des financements et la participation active du secteur privé doivent constituer des leviers importants. Dans cette optique, le secteur privé est considéré comme un partenaire stratégique dans la transition vers une économie verte et résiliente.
Les opportunités d’investissement existent, et une coordination plus étroite entre le gouvernement et le secteur privé dans les actions de développement sont indispensables. Les analystes soutiennent que les programmes de financement comme la FRD constituent une opportunité qu’il faut capitaliser au mieux. Les réformes initiées dans ce cadre sont orientées vers le soutien à la mise en œuvre des projets réalistes qui répondent aux besoins d’adaptation et d’atténuation par rapport aux défis du changement climatique dans la Grande île.
VERBATIM
Edgard Razafindravahy, Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI)
« Nous avons besoin de mobiliser d’importantes ressources pour faire face aux défis climatiques. Mais notre engagement pour le climat doit aussi se faire sans compromettre notre quête de développement. Des projets comme Hydromet illustrent cette approche. Ce dernier, avec un budget de 71 millions de dollars, vise à améliorer les services météorologiques et hydrologiques, essentiels pour anticiper les catastrophes naturelles et protéger les moyens de subsistance des agriculteurs, des pêcheurs, et des communautés vulnérables ».
Max Andonirina Fontaine, ministre de l’Environnement et du Développement durable
« Le FMI a proposé à Madagascar d’intégrer la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). Il s’agit d’un autre appui budgétaire. Son décaissement est toujours conditionné par des réformes, sauf qu’on ne juge pas sur des résultats macroéconomiques, mais sur des réformes liées à l’environnement. Nous avons monté un programme qui comprend douze réformes liées à l’environnement. Il faut qu’elles aient un lien avec la lutte contre le changement climatique et qu’elles aient un impact sur le plan macroéconomique ».
LES DÉFIS CLIMATIQUES EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar