Participation de Madagascar à la Conférence sur le développement des compétences et de l’emploi à Tianjin (Chine), le 23 novembre 2024. |
Alors que Madagascar vient de se doter d’un code du travail remanié et que la Politique Générale de l’État accorde la priorité au développement du capital humain, nombre d’observateurs s’interrogent sur la trajectoire que le marché du travail pourrait emprunter pour les années à venir.
Jusqu’ici, l’emploi à Madagascar est pourvu essentiellement par le secteur agricole, soit pour plus de 70 %, et par le secteur informel non agricole, estimé à près de 20 % des emplois. Ces deux secteurs sont caractérisés par leur faible capacité de production et leur désuétude dans l’organisation de leurs unités de production. Il est donc important de renverser rapidement cette tendance. Si l’on se réfère à la stratégie de développement socio-économique optée par les autorités, des changements majeurs devraient s’opérer au profit de l’accroissement des emplois dans les secteurs clés comme l’industrie, le numérique, l’agribusiness moderne ou encore les services à forte valeur ajoutée.
Ainsi, progressivement, le marché du travail devrait s’arrimer aux attentes des nouveaux secteurs clés. Un avis partagé par l’Organisation internationale du travail (OIT), qui appuie le pays afin que les formations dispensées dans l’enseignement technique et professionnel s’adaptent aux besoins des entreprises. Mais il faudrait pour cela que la Grande Île puisse produire en quantité et en qualité des ressources humaines aptes à satisfaire la demande. Il faudrait aussi que le tissu productif formel soit redimensionné pour pouvoir absorber les centaines de milliers de nouveaux entrants annuels sur le marché du travail et réduire significativement la taille du secteur informel. Car, actuellement, le contexte fait que de très nombreux actifs exercent dans le secteur informel, avec des revenus précaires, des emplois de piètre qualité et peu d’espoir d’échapper à la pauvreté.
Du côté des responsables publics, on soutient que le pays est sur la bonne voie pour engranger des résultats positifs sur le front de l’emploi. Pour le ministère en charge du Travail, l’initiative qui a abouti à la réforme du code du travail constitue l’un des exemples concrets de cette volonté de changer de paradigme. « Après plus de trois ans de négociations inclusives, la nouvelle loi apporte des changements majeurs visant à moderniser le cadre légal du travail, à s’adapter aux évolutions technologiques et à harmoniser les pratiques nationales avec les standards internationaux », a-t-on indiqué.
Le secteur privé reconnaît également que le nouveau cadre peut être perçu comme un changement positif pour le pays. « Le nouveau Code du travail de Madagascar marque une avancée majeure avec l’introduction officielle de la flexibilité des conditions de travail et du télétravail. Ces réformes devraient apporter une dynamique nouvelle au monde professionnel, permettant aux employés de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle tout en augmentant la productivité et la satisfaction au travail », soutient un membre du patronat.
L’importance accordée à la sécurité et à la santé au travail (SST), avec près de trente articles dédiés à ce sujet, est aussi considérée comme un progrès significatif. Ces dispositions visent notamment à renforcer les obligations des employeurs en matière de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. D’autant plus que les partenaires techniques et financiers militent depuis des années pour la création d’un cadre cohérent et standardisé pour la protection des travailleurs à travers tout le pays. Un « pack » qui englobe diverses mesures, allant de l’évaluation des risques à la formation des employés, en passant par la mise en place de protocoles d’intervention en cas d’accidents. L’objectif est d’assurer un environnement de travail plus sûr et plus sain pour tous.
Une économie à transformer
Outre le nouveau code, le ministère de tutelle, le MTEFP, relève aussi les autres réalisations de Madagascar sur le volet Travail, dont la mise en œuvre du Programme pays pour le travail décent, les opérations relatives au Plan stratégique global de l’inspection du travail dans plusieurs régions du pays. À cela s’ajoute l’extension de la sécurité sociale aux travailleurs non salariés, l’orientation ainsi que l’insertion professionnelle des jeunes et des sans-emploi, en incluant les personnes vulnérables… Selon les explications fournies, ces initiatives tendent à mettre le marché du travail sur de bons rails.
Mais en dépit de ces avancées constatées, force est de reconnaître que Madagascar a encore un long chemin à faire pour réunir les conditions susceptibles de générer une quantité suffisante d’emplois décents. Dans ce cadre, il doit faire en sorte que son économie soit moins tributaire des produits de base et des recettes d’exportation, que son secteur industriel soit plus créateur d’emplois, que les investissements étrangers et nationaux augmentent sensiblement et que l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes devienne l’un des piliers de son dispositif d’émergence.
La Banque mondiale, qui demeure le principal partenaire financier du pays, a rappelé que relever le défi du chômage et du sous-emploi n’est pas une tâche facile et que le développement et l’accompagnement d’un secteur privé dynamique doivent être au cœur des priorités. « Le secteur privé est un moteur de la croissance économique, de l’innovation et de la création d’emplois. Les recettes fiscales générées par des entreprises florissantes permettent aux gouvernements d’investir dans des services publics essentiels tels que la santé, l’éducation et les infrastructures, améliorant ainsi la qualité de vie des citoyens ».
Le marché du travail devrait connaître des changements notables à l’avenir. |
Émergence de nouveaux métiers
Mais le fait que l’écosystème de l’emploi connaisse une mutation rapide doit aussi être pris en compte. Selon Faly Rakotobe, responsable des ressources humaines dans une société de services aux entreprises, le marché du travail évolue de manière accélérée, et de nombreux emplois actuels risquent de disparaître à moyen terme. Et lui de rappeler une étude récente du Forum économique mondial qui note que deux facteurs principaux changent la donne: l’émergence de nouvelles technologies, l’automatisation et l’évolution vers une économie verte.
En effet, l’avancée rapide des nouvelles technologies, telles que le big data, le cloud computing et l’intelligence artificielle, devrait entraîner des changements radicaux sur le marché du travail. La bonne nouvelle, d’après notre interlocuteur, c’est que l’arrivée des nouvelles technologies donne un coup de fouet à l’ensemble de l’économie et, tout en détruisant certains emplois, en crée de nombreux autres.
Il n’est pas surprenant que l’informatique et les nouvelles technologies figurent parmi les secteurs les plus prometteurs. Le développement de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique offrira de nouvelles opportunités. On cherche déjà de plus en plus de techniciens d’assistance, de spécialistes de la communication avec les modèles d’intelligence artificielle qui aident à formuler correctement les demandes et agissent comme une sorte d’intermédiaire entre l’intelligence artificielle et l’homme. Les spécialistes de la cybersécurité ne manqueront pas non plus de travail, tout simplement parce qu’il y aura davantage d’informations sensibles.
Autre secteur qui devrait produire de nouveaux emplois en quantité : le développement durable. À l’échelle mondiale, la transition verte pourrait créer trente millions d’emplois dans les domaines de l’énergie propre, de l’efficacité et des technologies à faibles émissions d’ici à 2030. Le marché du travail malgache suit aussi cette tendance. Ces emplois verts peuvent être liés aux affaires, à la science, à la politique ou directement à l’environnement, dans des secteurs travaillant au développement des énergies renouvelables, à la préservation des espèces menacées, au conseil aux entreprises ou, par exemple, à la pratique juridique et à l’évolution de la législation en matière de protection de l’environnement. On aura également besoin d’urbanistes, d’architectes, de concepteurs et de constructeurs de maisons durables.
Mais les « petits travaux manuels » qui font vivre des dizaines de milliers de Malgaches ne vont pas disparaître pour autant. Si de petites tâches précises doivent être exécutées dans différentes circonstances, les êtres humains resteront irremplaçables. Cependant, les travailleurs opérant dans ce domaine devront aussi améliorer constamment leurs connaissances techniques et maîtriser de nouveaux outils intelligents. La demande de nouveaux métiers dans l’agriculture devrait également augmenter. Madagascar ambitionne toujours d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, et il aura besoin, dans ce cadre, de ressources humaines de différentes qualifications pour faire tourner son économie agricole.
MADAGASCAR – OIT - Visite de Fanfan Rwanyindo
Visite à Madagascar de Fanfan Rwanyindo, directrice régionale de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour l’Afrique. |
Fanfan Rwanyindo, directrice régionale de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour l’Afrique, a débuté sa visite officielle à Madagascar le 24 novembre dernier. Depuis, elle a rencontré les mandants tripartites de l’OIT, notamment le gouvernement, les organisations des employeurs et les syndicats des travailleurs ainsi que l’équipe pays du Système des Nations Unies à Madagascar.
À son arrivée dans la Grande Île, cette responsable a été accueillie par plusieurs personnalités, dont le Ministre en charge du Travail et de l’Emploi, Hanitra Fitiavana Razakaboana, le Président du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM), Francis Rabarijohn, ou encore le Coordonnateur général de la Conférence des travailleurs de Madagascar (CTM), José Randrianasolo. À savoir que l’OIT réunit depuis 1919 les gouvernements, les employeurs et les travailleurs de cent quatre-vingt-sept États membres pour établir des normes du travail, élaborer des politiques et concevoir des programmes favorisant un travail décent pour toutes les femmes et tous les hommes.
Pendant son séjour à Madagascar, Fanfan Rwanyindo a dirigé, entre autres, la journée portes ouvertes de l’OIT, qui a mis en avant l’engagement de l’organisation pour la justice sociale et le travail décent dans le pays. On sait en outre qu’avec l’équipe de l’OIT du Bureau d’Antananarivo, sous la direction de Frederick Muia, elle a échangé sur l’évolution du marché du travail à Madagascar, l’adoption du nouveau code du travail, la promotion des normes, des principes et droits fondamentaux au travail, ainsi que les opportunités pour les femmes et les hommes d’accéder à un emploi et à un revenu décents.
Le GEM, pour sa part, a saisi cette occasion pour rappeler son soutien aux politiques publiques en matière d’emploi et de formation professionnelle. La principale plateforme patronale du pays a mis l’accent sur sa contribution à « la réalisation d’un développement inclusif et durable, où chaque acteur joue un rôle essentiel pour atteindre les objectifs de justice sociale et de travail décent à Madagascar ».
À noter par ailleurs que l’OIT publie régulièrement des études sur le marché du travail. Dernièrement, elle a examiné les effets des instruments de politique commerciale, notamment les mesures tarifaires et non tarifaires, sur certains indicateurs du travail décent. L’analyse montre que les instruments de politique commerciale (composés de diverses mesures tarifaires et non tarifaires) ont des effets variables sur les marchés du travail, en fonction du secteur, de la région géographique et des caractéristiques propres aux entreprises et aux travailleurs.
« Intégrer la question du travail décent sur le marché du travail dans la politique commerciale soutiendrait les objectifs commerciaux, notamment la croissance et la compétitivité, tout en améliorant le bien-être des travailleurs », a indiqué aussi le rapport, qui constate en outre que peu d’études ont été réalisées sur divers résultats du marché du travail associés au travail décent, tels que les modalités de travail, les conditions de travail et les droits des travailleurs.
VERBATIM
Hanitra Razakaboana, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Fonction publique (MTEFP)
« Madagascar encourage l’initiative vers un contrat social, le renouvellement des orientations et des impératifs du monde du travail, qui est en perpétuelle évolution. Pour développer ce nouveau contrat social, il faut prioriser les actions axées sur un système de valorisation du capital humain, un des trois piliers du développement conformément à la Politique Générale de l’État ».
Frederick Muia, représentant résident de l’Organisation internationale du travail (OIT)
« Nous devons préparer les jeunes à un monde du travail qui change et non pas à rester sur une formation de type traditionnel. C’est la raison pour laquelle nous appuyons le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle. Des formations adaptées aux besoins des entreprises seront dispensées auprès des établissements d’enseignement technique et professionnel ».
LE SECTEUR DU TRAVAIL EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar