Liberté automobile

Brocarder un Salon de l’Auto-Moto, au prétexte de l’extrême pauvreté sur les trottoirs qui regardent les voitures passer, relève d’un communisme mental que même les apparatchiks soviétiques avaient vite délaissé. 

Bien campée sur ses grosses roues, la nouvelle Toyota Prado (chez CFAO) expose son design carré et bodybuildé. Une virilité initiée par le Ford Raptor (chez Materauto) mais qui a depuis gagné toutes les calandres : Mitsubishi L200 (chez CFAO), Volkswagen Amarok (chez Sodiama), Chevrolet Silverado (Ocean Trade). 

Même les Voltmobile (chez OTC) se donnent des airs de Defender. Mais ce look baroudeur n’est pas toujours garantie d’efficacité tous-terrains s’il n’est pas au moins accompagné d’une première rampante (merci au low-cost Dacia Duster dont le dernier opus n’est pas encore à Madagascar), et d’une garde-au-sol au-dessus de toute ornière. Ainsi, le Peugeot Landtrek (chez Sodirex), pick-up qui ne déroge pas à la dégaine de ses congénères contemporains, doit-il se montrer à la hauteur des prestations 4x4 de son rustique ancêtre 504 Dangel. 

Chez les berlines et SUV, les voitures chinoises ont globalement rejoint le consensus esthétique porté par les autos européennes et américaines. Classicisme auquel se sont joints depuis longtemps les constructeurs japonais et coréens. Une vague uniformité s’en dégage qui fait dire au public, «elles se ressemblent toutes». Le mercato des mêmes stylistes, que s’attachent successivement les grands groupes automobiles, n’y est pas étranger. Exotique ou baroque, demeure à part le dessin de voitures indiennes comme les Mahindra (chez Sodiama). Chez l’autre indien, Tata Motors, les modèles affichent sans complexe une allure statutaire sans doute pour ne pas passer pour les conjoints morganatiques des aristocratiques britanniques Range Rover et Jaguar, passées sous pavillon indien en un retournement ironique de l’histoire. 

Madagascar a les dimensions d’une île-continent dont les distances intérieures prennent du temps. Déjà à l’époque des cantonniers locaux qui assuraient un entretien décentralisé régulier des nombreuses et éloignées routes nationales ou d’intérêt provincial. Pour parcourir ces distances respectables, la voiture personnelle a toujours été le meilleur moyen d’une liberté presque aussi fondamentale que celui du deuxième amendement américain. Ceux qui vantent les joies d’une aventure rock’n roll en taxi-brousse Saviem ou camion Mercedes-Benz transformé à la mode Taobavy sont d’indécrottables hippies qui ont les moyens de cette fantaisie, ou de très modernes influenceurs qui vendent les charmes d’un exotisme de moins en moins confortable. Par contre, celles et ceux dont c’est la vie d’avoir à se déplacer d’un bout à l’autre du pays, ou d’un poste à une autre affectation, ne renieraient pas la possession d’un scooter, première marche vers une locomotion autonome, et en famille automobile (par contre, les Bajaj, bien que présentés par des mannequins habillées à l’indienne, ensauvageraient davantage la jungle qu’est déjà la circulation tananarivienne). 

Heureux qui, comme ces ambassadeurs étrangers faisant le voyage, précédés de leur pavillon national, allemand, américain, français, coréen, chinois, fièrement arboré au bout du capot d’une voiture-pays, vitrine du savoir-faire industriel national et manifeste de l’appartenance au club des nations en souveraineté automobile. Absent des Salons de l’Auto, sans renouvellement de modèle depuis bien longtemps, mais peut-être un jour homologué à rouler en Andafy, notre Karenjy national, avec sa morphologie peu ordinaire, assurerait une visibilité singulière à chaque ambassadeur de Madagascar.  

Nasolo-Valiavo Andriamihaja


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