C’est l’histoire d’un berger dont la simplicité ne laissait pas entrevoir le fond tyrannique qui attendait une découverte capitale pour jaillir. C’est un récit dont les péripéties commencèrent quand ce respectable pâtre fit l’acquisition d’un anneau, trouvé sur le cadavre d’un géant monté sur un immense cheval d’airain. Ce fut alors le début de la trajectoire vers la tyrannie, un chemin rendu accessible par ce bijou qui rend son possesseur invisible lorsqu’il tourne le chaton. Et c’est ainsi que l’honnête berger Gygès, conscient de ce que ce pouvoir peut lui procurer, séduisit la reine et assassina le roi pour prendre sa place.
Ce mythe, raconté par Glaucon, un disciple de Socrate, dans le Livre II de La République de Platon, a sans doute inspiré J.R.R. Tolkien vingt-cinq siècles plus tard, pour l’écriture de son intemporelle saga où on met en scène un autre anneau, l’anneau unique de Sauron, qui a le potentiel énorme d’être source d’un pouvoir destructeur. Un anneau qui, une fois porté, procure un habit dangereux d’immunité, faisant obstacle aux barrières légales qui peuvent s’exercer sur les criminels, les voleurs, ou autres hors-la-loi. Ainsi, l’invisibilité préserve Gygès des représailles de la loi, dévoilant un autre visage, celui d’une cruauté inimaginable qui sommeillait dans l’ « intègre berger » dont la probité ne fut que le produit de la crainte de la justice qui peut s’exercer sur les malfaiteurs.
Et l’histoire aime reprendre les mêmes thèmes ou modèles, les mêmes structures pour façonner des destins. On a, de ce fait, pu observer les mêmes effets diaboliques chez certains qui ont détenu d’autres incarnations de l’anneau de Gygès, présent dans les rouages du pouvoir politique, là où on peut s’abriter sous son parapluie d’impunité, transformant un nombre considérable de Dr. Jekyll respectables en effroyables Mr. Hyde. Tant de métamorphoses surprenantes, qui ont rendu certains individus, comme Griffin, le protagoniste du roman L’Homme Invisible (H.G. Wells, 1897) ou le personnage principal du film Hollow Man (P. Verhoeven, 2000), happés par l’univers impitoyable du pouvoir, méconnaissables aux yeux de leurs plus proches connaissances.
Alors que tous les maux de la Terre sont sortis de la boîte de Pandore selon le mythe grec, l’espoir est resté à l’intérieur. L’espoir est toujours là, éternel, pour garder en éveil notre foi, parfois vacillante et fragile, en l’humanité, en la survie d’une intégrité inébranlable chez de hautes personnalités, immunisées contre le poison corrupteur de l’anneau de Gygès, qui peut être à la portée de ceux qui ont une expérience des hautes sphères. On ne peut que souhaiter que de tels individus existent encore, pour donner raison à ceux qui n’ont pas perdu cet espoir.
Fenitra Ratefiarivony