Sylvie Joliclerc, la fondatrice de la librairie «Lecture et Loisirs», est morte. «Samourai», pour les chèques ou pour l’adresse mail. Rebelle presque par réflexe, ancrée idéologiquement à gauche, elle était également d’une grande culture qu’elle mit au service de ses clients, nous autres lecteurs.
Dans un pays qui ne peut pas s’enorgueillir de compter autant de librairies que les dix doigts des deux mains, dénicher dans cette librairie, alors située dans les sympathiques allées de ce qui était la «Galerie Zoom» à Ankorondrano, les auteurs de mon enfance aux côtés d’essayistes très contemporains, des ouvrages sur la Franc-Maçonnerie côtoyant des traités sur la Bible, des bandes dessinées ou un Beau-Livre sur les voitures de collection, avait eu quelque chose d’extatique.
C’est que, comme je le déplorais dans une ancienne Chronique, la «Librairie de l’Étudiant» à Mahamasina est devenue une onglerie ; la «Librairie Mixte» à Analakely a cédé la place à un géant de la pizza ; le «Tout pour l’École» de la Rue de Nice (Indira Gandhi) abrite un bazar d’électro-ménager ; le CMPL (centre malgache de promotion du livre) d’Antsahavola a été délogé par une banque... Qu’allait-il nous rester : anxiété existentielle de toute une génération.
Enfants, nous étions récompensés par une visite à la «Libraire de Madagascar» (38 avenue de l’Indépendance) et y compléter notre collection de «Tintin». Dans un pays de tradition orale, la mort d’un vieillard signifiait la perte d’une bibliothèque ; cette fois, la mort du libraire, en l’occurrence Yves Balanche, allait signer la fermeture de la librairie. Et ce ne fut pas sans émotion que, quarante ans plus tard, à la succursale majungaise de la «Librairie de Madagascar», j’achetais presque dévotement quelques numéros de Tintin au format de poche, ainsi que de vieilles cartes postales qui attendaient également qu’on les exhume de la poussière.
Quels avaient pu être les sentiments de cette soixante-huitarde dans l’âme quand des voyous, qui prétendaient faire la révolution, ont saccagé sa librairie ce 26 janvier 2009 ? Sylvie m’en avait raconté l’horreur : la horde sauvage en avait après les livres, LE livre. Ce signe extérieur de Culture. Sinon, se seraient-ils contentés de renverser les étagères et d’uriner sur les beaux-livres ? Comportement pathologique que j’avais déjà noté chez ceux qui avaient vandalisé la maison de Guy Razanamasy en 2002 : ils avaient soigneusement inondé la salle de bibliothèque pour mieux jeter les livres dans l’eau.
La dédicace par les auteurs de l’ouvrage collectif «Histoire de Madagascar, coordonné par Sylvain Urfer, fut le dernier évènement littéraire auquel j’aurai assisté à la librairie «Lecture et Loisirs» du vivant de Sylvie. Fasse que ce grand oeuvre bouquiniste lui survive.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja