La télévision débarqua à Madagascar, quinze ans après son apparition en Europe, à l’occasion de la Coupe du monde 1954. Certaines familles malgaches purent donc suivre le «petit pas» de Neil Armstrong sur la Lune (21 juillet 1969), la finale de la Coupe du monde 1970 (Brésil-Italie, 4-1, 21 juin 1970) ou la finale du WM 1974 (RFA-Hollande, 2-1).
Ce 7 juillet 1974, eut lieu un hold-up : onze Teutons besogneux volèrent la victoire à une escouade d’artistes, à l’image du rugueux Bert Vogts qui mit sous l’éteignoir le «Hollandais volant» Johan Cruyff. Jusque là, magnifiques perdants (victimes d’un but fantôme en finale de 1966, perdants du «match du siècle» en 1970), les Allemands allaient devenir ceux que le reste du monde aime haïr. Championne d’Europe en titre, la RFA n’avait pas le charme des Oranje, emmenés par Cruyff et l’ossature de l’Ajax Amsterdam. Ceux-là même, Cruyff, Neeskens, Rep, et Haan, qui avaient infligé un cinglant 4-0 au Bayern de Franz Beckenbauer, avant de décrocher le troisième titre européen consécutif (1971, 1972, 1973) de l’Ajax.
C’était le 7 mars 1973. Les Allemands allaient retenir la leçon, et seize mois plus tard, leur réalisme froid condamna cette génération batave à être la meilleure équipe jamais sacrée en Coupe du monde. Clap de fin également pour l’Ajax, auquel allait succéder le Bayern de Munich et ses trois C1 consécutives (1974, 1975, 1976).
Ainsi commençait une suprématie allemande qui inspira à Gary Lineker sa boutade célèbre : «le football se joue à onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne». La génération Beckenbauer était authentiquement «über alles» : finaliste de la Coupe du monde 1966, demi-finaliste de la Coupe du monde 1970, vainqueur de l’Euro 1972, championne du monde 1974, et finaliste de l’Euro 1976, perdue sur une Panenka d’Antonin. Plus tard, sélectionneur national, Beckenbauer conduira la Mannschaft en finale de la Coupe du monde 1986, avant la consécration du Mondiale 1990. France-Football pouvait titrer en Une : «Le Kaiser est bien l’Empereur».
Je n’ai pas connu le Franz Beckenbauer de la demi-finale face à l’Italie (Coupe du Monde 1970), je ne l’ai pas vu non plus gagner l’Euro 1972 et je n’avais que quatre ans et pas encore la télé lors de son sacre mondial en 1974. Je ne l’ai jamais vu jouer avec le Bayern Munich, où il bâtit l’essentiel de son palmarès. Quand il revint de la lointaine Amérique, il y avait comme une erreur de casting à le voir sous les couleurs (blanches) de Hambourg. Mais, avant la télé noir et blanc, j’avais commencé de taper dans un ballon au cri de «Beauckinbauer», héritage de la prononciation hasardeuse de mon grand-père. Entré en football, en même temps qu’en esprit de contradiction, j’allais choisir l’Allemagne contre la France («Allez, les Bleus») et le Bayern plutôt que Saint-Étienne («Allez les Verts»). À seul contre tous, le père, le grand-père, le grand-oncle, Séville 1982 gardera à jamais une saveur particulière.
Ma germanophilie naissante me fera découvrir l’épopée du «Miracle de Berne», en finale de la Coupe du monde 1954 : un hold-up, déjà, de la bande à Fritz Walter contre les «géniaux Magyars» de Ferenc Puskas qui les avait balayés (3-8) au premier tour. Les Allemands savaient décidément apprendre d’une raclée, surtout contre des artistes réputés invincibles. Le football, bien avant le Deutsche Mark, restaura la dignité perdue en 1945. «À nouveau, être Allemand, c’était redevenir quelqu’un» se souvint le jeune Franz Beckenbauer.
«Kaiser Franz» appartenait à une autre époque, 1965-1977, où achever sa carrière internationale avec 103 sélections était un exploit rare. Aujourd’hui, avec la multiplication des compétitions, les «jeunes» enquillent des statistiques invraisemblables : la barre symbolique des 200 matches en équipe nationale aura été franchie par Cristiano Ronaldo en juin 2023.
Le temps qui passe, sa patine, son usure finale. On gardera l’image de l’élégance naturelle, facile à arborer quand on est champion du monde à 29 ans, encore plus admirable à septante. Franz Beckenbauer avait 78 ans.