Alors que les arts visuels étaient régis par le principe de la mimesis ou imitation, le XXe siècle a vu l’affirmation d’une démarche qui suspend l’élan figuratif. On assista au début de l’apogée de la tendance abstraite qui commença à s’imposer dans les expositions. Ce siècle vit Vassily Kandinsky révolutionner la peinture avec ses œuvres qui, manifestement, ne représentent aucune des réalités qui peuvent s’offrir aux yeux mais, d’après le peintre, évoquent des sons. Son ambition est ainsi d’exprimer l’audible par le visible. Étant donné cette importance de la musique dans ses œuvres picturales, la Philharmonie de Paris fait, en ce moment, découvrir ces tableaux qu’on écoute dans une exposition immersive.
Voir les images comme représentations de sons et non plus d’entités visibles relève d’un phénomène qu’on appelle la synesthésie. C’est quand les sens se rencontrent, lorsque, selon Baudelaire, «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent». C’est lorsque Rimbaud voyait des couleurs quand les voyelles résonnaient (A noir, E blanc, I rouge, U vert). Pour Kandinsky, la musique peut s’exprimer dans ce qu’on offre à la vue. L’exposition d’une partie de l’héritage de Kandinsky, qui se tient dans un lieu de l’art musical, est ainsi une plus grande concrétisation de cette présence du son dans l’image.
Ainsi, la peinture, que Platon voyait comme une imitation avec son essence illusoire et, donc, son opposition à la vérité (l’image d’un lit n’est pas un lit véritable, par exemple), peut avoir une vertu éducative comme la musique qui peut, toujours selon la philosophie platonicienne, servir à l’édification du bon citoyen. Kandinsky, en rapprochant la peinture de la musique, lui donne alors une force spirituelle. Et par son approche, il a aussi donné à la peinture le pouvoir de nous mener au-delà de la représentation, des phénomènes perceptibles, pour appréhender la volonté qui, selon Schopenhauer, fait bouger le monde. Comme la musique qui n’imite aucun élément du monde, la peinture peut aussi directement exprimer cette réalité profonde qui est la volonté.
Alors qu’actuellement, on assiste à une prolifération des images, fournies notamment par les contenus des réseaux sociaux ou les publicités, des représentations qui nous ancrent encore plus dans un monde où le consumérisme donne la cadence, s’en détacher est parfois salutaire. La musique nous offre ces évasions libératrices tout comme l’art non figuratif, deux moyens pour mener l’âme à l’émancipation et ainsi l’affranchir des obstacles matériels qui peuvent freiner son épanouissement.
Fenitra Ratefiarivony