À Madagascar, différents programmes soutenus par les partenaires techniques et financiers sont mis en œuvre afin que les femmes soient à l’avant-garde de la transformation énergétique du pays. Un mouvement appelé à se dynamiser.
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De plus en plus de femmes sont impliquées dans la transformation énergétique du pays (Src photo : MEH). |
Près de 70 % de la population n’a pas encore accès à l’électricité et la question énergétique reste l’un des défis majeurs du développement de Madagascar. Dans ce contexte, les femmes sont appelées à jouer un rôle déterminant pour changer la donne. Loin d’être de simples bénéficiaires des programmes d’électrification, elles sont poussées progressivement à devenir des actrices de premier plan dans le déploiement d’une énergie durable et inclusive, soutenues par une série d’initiatives et de financements divers. Selon les spécialistes du secteur, la Grande Île a en effet tout intérêt à miser sur les femmes pour sortir de la crise énergétique qui mine son développement.
Au-delà des actions de plaidoyer, différentes initiatives concrètes sont lancées pour placer les femmes au cœur du dispositif d’inclusion énergétique, notamment dans les zones rurales. Ainsi, dans le cadre de l’initiative Powering Gender Equality (PGE), le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud) soutient les femmes dans le développement de compétences en technologie solaire pour stimuler les actions entrepreneuriales et créer des opportunités génératrices de revenus. Mino Rakotobe, spécialiste de l’autonomisation des femmes, et Evrard Karol Ekouedjen, spécialiste des énergies renouvelables, expliquent que l’objectif et de venir à bout des inégalités profondes dans le domaine de l’énergie, en dotant les femmes de compétences techniques et en transformant leur rôle dans le secteur énergétique.
Pour rappel, Madagascar s’est fixé un objectif d’atteindre un taux d’accès à l’électricité de 70 % d’ici 2030. Un défi de taille quand on sait que moins de 30% de la population a accès à l’électricité, avec seulement 15 % dans les zones rurales. L’accès à des solutions de cuisson propre est encore plus rare : seulement 1 % des Malgaches peuvent en bénéficier, la majorité dépendant du bois de chauffe et du charbon de bois, ce qui contribue à la déforestation du pays. Les analystes font remarquer en outre que l’accès à l’énergie est étroitement lié aux disparités économiques et de genre. Pourtant, les femmes sont responsables de la cuisine, de la collecte du bois de chauffe, du charbon de bois et de l’eau, même dans les zones urbaines ou périurbaines. L’utilisation de l’énergie par les femmes est liée au travail ménager, tandis que les hommes dominent les emplois formels dans le secteur de l’énergie. C’est là qu’interviennent les initiatives comme le Powering Gender Equality.
Dans les prochaines années, les femmes ne seront pas seulement des bénéficiaires passives des solutions d’énergie propre mais façonneront et dirigeront la transformation énergétique du pays. Un élément clé du programme consiste à former les femmes à l’installation et à la réparation de systèmes solaires, tout en leur fournissant des compétences dans les technologies de biogaz. L’initiative a déjà réalisé des progrès significatifs, impliquant par exemple plusieurs femmes de la commune de Betioky, dans la région d’Atsimo Andrefana, et de la commune de Mahitsy, dans la région d’Analamanga. « Nous avons mis en œuvre la formation pour les femmes ciblées, et l’objectif était de renforcer leurs capacités et de les rendre capables d’installer et de réparer elles-mêmes les systèmes solaires domestiques », a témoigné Evrard Ekouedjen.
Miser sur différentes technologies
Mais pour atteindre son objectif en matière d’accès à l’énergie propre pour tous, Madagascar ne peut pas miser uniquement sur le solaire. Raison pour laquelle les PTF poussent le pays à multiplier les programmes qui s’étendent aux autres technologies comme le biogaz. Dans cette perspective, les entités publiques et les parties prenantes sont invitées à collaborer étroitement avec les ONG qui sont actives dans le renforcement des capacités des femmes dans la construction et la réparation de biodigesteurs mobiles, ainsi que dans la production de cuisinières à biogaz. Selon les explications fournies, ces efforts fournissent aux femmes des compétences techniques essentielles et créent de nouvelles opportunités économiques.
Les femmes sont aussi incitées à se lancer dans des projets entrepreneuriaux dans le secteur de l’énergie. Selon le Pnud Madagascar, un dispositif de soutien est déjà en place pour que les femmes puissent s’organiser en groupes et recevoir des fonds de démarrage pour acheter des kits dédiés ou des composants à revendre dans leurs communautés. Une autre voie est la gestion de nanoréseaux. Ainsi, des boîtes solaires de deux kilowatts chacune sont disponibles afin que les femmes puissent créer et gérer des nanoréseaux pour leurs communautés, ce qui leur permettra d’être rémunérées.
Le succès du programme ne repose donc pas seulement sur la formation technique, mais aussi sur le soutien de la communauté. Sur ce constat, des actions sont menées pour aller au-delà des normes de genre traditionnelles et encourager la participation des femmes dans le secteur de l’énergie. « Grâce à des dialogues et des séances de sensibilisation avec les hommes, nombre de ces derniers ont donné leur soutien pour que les femmes participent aux sessions », ont expliqué les responsables avant d’ajouter que les hommes sont aussi incités à s’impliquer davantage dans les tâches ménagères pour permettre aux femmes de participer pleinement aux formations.
D’après les témoignages, les hommes qui étaient initialement sceptiques sont devenus des défenseurs de l’initiative. Résultat : les femmes ont plus confiance en elles et réalisent qu’elles peuvent faire autre chose que des tâches ménagères, comme installer et entretenir des systèmes solaires. Une grande révélation pour ces actrices du développement rural. « L’impact du programme va au-delà de l’autonomisation individuelle. Il montre que l’avenir de la transformation énergétique propre de Madagascar est un futur où les femmes dirigent, prospèrent et où tout le monde en bénéficie collectivement. Ces femmes deviennent des «porteuses de lumière» dans leurs communautés. En autonomisant les femmes économiquement et dans le secteur de l’énergie, nous construisons des communautés plus résilientes », a-t-on aussi soutenu.
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De nombreux projets appuient le renforcement des capacités énergétiques des femmes (Src photo : MEH). |
Multiplication des solutions hors-réseau
Dans les zones rurales, où les réseaux électriques publics peinent à s’étendre, remarque est faite que de nombreuses femmes s’engagent dans la promotion des solutions hors-réseau. Le programme “Women Entrepreneurs in Renewable Energy” a, pour sa part, permis de former des dizaines de femmes à l’installation, la maintenance et la commercialisation de kits solaires domestiques. Grâce à cette initiative, plusieurs coopératives féminines, notamment dans les régions d’Ambalavao et de Vakinankaratra, se sont spécialisées dans la distribution de lampes solaires, permettant à des milliers de foyers d’abandonner les lampes à pétrole au profit d’une énergie plus propre et plus sûre.
Un autre exemple phare est le projet “Light for All”, soutenu par la Banque africaine de développement (BAD) et exécuté en partenariat avec le ministère de l’Énergie. Ce programme a mis en place une politique d’intégration des femmes dans la gouvernance des mini-réseaux solaires installés dans plusieurs communes enclavées. Autre constat: pratiquement tous les bailleurs de fonds ne se contentent plus de promouvoir l’accès à l’énergie. Ils insistent désormais sur une approche inclusive qui reconnaît la valeur ajoutée des femmes dans la chaîne de production et de distribution énergétique. Le Fonds Vert pour le Climat (GCF) a ainsi alloué une enveloppe de plusieurs millions de dollars au projet “Mad-Energy Transition”, qui inclut un important volet de renforcement de capacités pour les femmes entrepreneures dans le domaine des énergies renouvelables. En collaboration avec des institutions locales comme le Centre national de formation en énergie renouvelable d’Antsirabe, le projet forme des techniciennes solaires, leur offre un appui à la création d’entreprise et facilite l’accès au microcrédit.
Par ailleurs, les ONG locales jouent un rôle de catalyseur en favorisant l’engagement communautaire. L’association ASA-Energy, avec l’appui de l’Union Européenne, a lancé une initiative pilote dans le sud de l’île, où des femmes issues de communautés rurales sont formées comme ambassadrices de l’énergie. Elles sensibilisent les familles aux bonnes pratiques de consommation électrique et assurent un lien entre les usagers et les opérateurs privés. Notons aussi les actions de Barefoot College Madagascar, une organisation non gouvernementale qui a pour mission de former des femmes issues de communautés rurales vulnérables pour qu’elles deviennent des agents de changement durable au sein de leur communauté qui accède durablement aux services de l’électricité solaire.
À travers ces projets, la contribution des femmes est devenue essentielle. Mais les observateurs estiment qu’il faudrait « une implication structurée des femmes dans les politiques énergétiques», pour pouvoir engranger des résultats plus conséquents et plus durables. « La reconnaissance du rôle des femmes dans le secteur énergétique n’est pas qu’une question de justice sociale. C’est une nécessité opérationnelle pour garantir la durabilité des projets, leur appropriation locale et leur efficacité sur le long terme », soutient Antsa Nirisoa, cadre technicienne auprès de l’association FTPM. Et notre interlocutrice de conclure qu’en investissant davantage dans leur formation, leur autonomisation et leur leadership, le pays pourrait non seulement améliorer l’accès à l’électricité pour tous, mais aussi renforcer la résilience de son modèle de développement.
AFRICA MINI-GRIDS - En appui aux «porteuses de lumière»
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Participation de Madagascar à l’Africa Energy Forum de cap Town le 18 juin 2025 (Src photo : MEH). |
L’initiative Africa Mini-Grids ambitionne d’autonomiser les femmes du continent en leur offrant des opportunités économiques dans le secteur des énergies renouvelables. C’est dans ce cadre que le PNUD a lancé le projet «Powering Gender Equality» à Madagascar.
Les initiateurs du projet expliquent que ce type de programme offre à la Grande Île la possibilité de multiplier significativement le nombre de femmes «porteuses de lumières» et de développement inclusif. On sait ainsi que 22 femmes des communes de Betioky et Ankililaoka, dans la Région Atsimo Andrefana, ont bénéficié d’une formation intensive dans les domaines de l’installation et de la maintenance de systèmes solaires domestiques photovoltaïques ainsi que dans la production de biogaz. Ces formations ont été fournies par l’Agence de Développement de l’Électrification Rurale (Ader).
Les éclairages donnés par l’Ader ont permis de savoir que les participantes ont également reçu des notions de gestion d’entreprise afin de les préparer à démarrer leur propre activité dans ce secteur qui dispose d’un large potentiel de développement. Plusieurs femmes de Betioky ont alors suivi une formation à Toliara. Parallèlement, les femmes d’Ankililaoka ont été formées spécifiquement sur la production de biogaz.
D’après toujours les explications fournies, l’initiative s’arrime aux Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Pour le Pnud, l’importance de responsabiliser les femmes dans la gestion de l’énergie n’est plus à justifier, un domaine crucial pour de nombreuses familles malgaches. En responsabilisant les femmes, le projet contribue également à améliorer les conditions de vie des familles et à promouvoir des pratiques plus durables pour l’environnement. Il est noté enfin que la rigueur a été de mise dans le processus de sélection des participantes et que plus d’une centaine de dossiers ont été reçus.
VERBATIM
Dr. Edward A. Christow, représentant résident du Pnud Madagascar
« L’énergie et l’égalité des sexes sont deux des six solutions types du Plan stratégique du Pnud qui contribuent grandement à la réalisation des objectifs de développement durable. Et notre vision, au niveau global, est de catalyser des actions et des partenariats sans précédent pour permettre à cinq cents millions de personnes supplémentaires d’accéder à une énergie durable, abordable et fiable ».
Herinirina Fanevamampiandra, ingénieure et lauréate du programme Women In Africa Young Leaders (WIA)
« Il est essentiel d’assurer le bien-être énergétique des femmes malgaches au quotidien, dans un pays où il n’y a que 15% de la population qui a accès à l’électricité. Malgré un parcours conséquent dans l’activisme énergétique, je remarque qu’il reste beaucoup à faire. Il faut notamment renforcer la promotion de l’éducation par la pratique et l’accès à l’énergie durable dans le pays ».
FEMMES ET éNERGIE EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar