C’est dans les méandres du MWC 2025, au Fira de Barcelone, que Stéphanie Delmotte, ministre du Développement numérique, des Postes et des Télécommunications (MNDPT), nous donne rendez-vous:
Madame la ministre, pourriez-vous nous partager la vision actuelle du MNDPT ainsi que les principales initiatives en cours pour accélérer la transformation numérique du pays?
Le ministère place désormais les données au cœur de ses priorités, leur conférant une valeur stratégique comparable à celle de l’or. Car sans information fiable, disponible et exploitable, il est impossible de gouverner, d’entreprendre et d’apprendre. Aujourd’hui, à Madagascar, les données sont disséminées entre plusieurs entités économiques qu’il s’agisse de GOTICOM (Groupement des Opérateurs des Technologies de l’Information et de la Communication), des banques primaires, de la banque centrale ou encore différentes entités ministérielles. Il est donc impératif pour nous de mettre en place une véritable gouvernance des données à Madagascar, fondée sur trois actions concrètes :
1. Collecter les données,
2. Les traiter grâce à l’intelligence artificielle et aux applications,
3. Les sécuriser via une politique de régulation garantissant la cybersécurité, la protection des données personnelles et le respect de l’éthique.
Cela passe aussi par l’adoption de plusieurs décrets, notamment des décrets visant à renforcer l’usage de la signature électronique, afin de faciliter et sécuriser la numérisation des opérations administratives.
L’accès à Internet et la réduction de la fracture numérique restent des défis majeurs pour Madagascar. Quelles initiatives votre ministère met-il en place pour améliorer la connectivité et l’inclusion numérique, notamment dans les zones rurales ?
Aujourd’hui, en quelques chiffres :
• La couverture réseau à Madagascar est d’environ 60 %,
• La couverture 4G atteint 70 % de la population,
• Le taux de pénétration du smartphone n’est que de 24 %.
Cela reste un défi majeur si nous voulons tirer parti de l’intelligence artificielle et de la quatrième révolution industrielle. Il est donc essentiel d’investir dans les infrastructures.
Que faisons-nous concrètement ?
D’abord, nous avons déployé une solution spécifique pour désenclaver les zones rurales en partenariat avec Huawei, avec la technologie Rural Star. Nous allons ainsi installer 73 pylônes, en commençant par la région de Menabe, dont je suis fière. À terme, 95 % du territoire, y compris les zones rurales, seront couverts.
Ensuite, nous collaborons avec DECIM (Digital and Energy Connectivity for Inclusion in Madagascar) un projet financé par la Banque mondiale pour l’inclusion numérique. Nous investissons 55 millions de dollars dans l’extension du réseau de télécommunications, en partenariat avec tous les acteurs du secteur, qu’ils interviennent sur les infrastructures passives ou sur les services actifs.
Enfin, nous souhaitons alléger le coût d’accès au numérique. Aujourd’hui, les taxes douanières sur l’importation des smartphones s’élèvent à 40 %, ce qui renchérit considérablement leur prix. Par exemple, un téléphone à 40 dollars revient à 56 dollars, un surcoût de 16 dollars, souvent prohibitif pour les Malgaches.
Pour y remédier, nous travaillons sur la réduction de ces taxes et mettons en place un fonds de 97 millions de dollars via le projet DECIM, afin de démocratiser l’accès aux smartphones. Concrètement :
• 664 000 téléphones seront vendus à des prix symboliques,
• 400 000 smartphones seront spécifiquement dédiés aux femmes victimes de la fracture numérique.
Notre objectif est clair: une véritable inclusion numérique pour tous les Malgaches.
L’intelligence artificielle est l’un des thèmes majeurs du MWC cette année. Comment Madagascar prévoit-il d’adopter cette technologie et quelles opportunités pourrait-elle offrir aux entreprises et aux citoyens ?
Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’intelligence artificielle représente un véritable bond en avant. C’est la quatrième révolution industrielle. Actuellement, seuls 130 pays investissent activement dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) et dans le numérique.
Si nous manquons cette période charnière, nous risquons d’accumuler un retard considérable d’ici 2030. Comment allons-nous procéder ? Tout d’abord, comme je l’ai souligné précédemment, nous avons besoin de données. Sans des données de qualité, conformes aux normes internationales, il est impossible d’intégrer les données de Madagascar, ou même de l’Afrique, dans les moteurs de l’Intelligence Artificielle.
Il est donc impératif de tirer parti de cette solution, car elle constitue un levier puissant pour l’économie, en termes de performance, d’efficacité, de simplification des procédures, d’accélération de la recherche et d’aide à la décision. Pour l’instant, notre stratégie consiste à collecter les données à Madagascar, à mettre en place des standards internationaux au sein des data centers que nous allons construire, et à former des compétences numériques pour gérer ces informations et développer des applications. Nous soutiendrons également les innovations dans le développement de solutions axées sur l’Intelligence Artificielle (IA).
En parallèle, nous serons activement impliqués dans Smart Africa. Nous allons collaborer avec cette initiative, qui œuvre à la création d’une convention unique en Afrique sur l’IA, prévue pour être signée autour du mois d’avril. Cet effort commun vise à harmoniser le patrimoine de données africaines et à faciliter l’accès aux infrastructures de l’IA.
"Il est impératif de mettre en place
une gouvernance des données"
Comment le gouvernement accompagne-t-il ces acteurs, notamment en termes de financement et de formation ?
Il y a deux actions majeures que nous pouvons déjà citer. La première est le projet PIC3, financé par la Banque mondiale, qui soutient Miary Digital . Ce projet finance une quarantaine de start-ups par cohorte, leur offrant formation et incubation. Après neuf mois d’incubation, ces start-ups peuvent recevoir un financement pour leurs activités.
Nous avons déjà commencé avec une première cohorte de 45 entrepreneurs qui ont réussi, et une deuxième cohorte a débuté, avec une quarantaine d’autres start-ups.
Mais surtout, le MNDPT investit dans la création d’au moins quatre centres numériques à Madagascar. Ces centres seront répartis dans les principales villes : la Capitale, Tamatave, Majunga et Fianarantsoa. Ce sont des hubs destinés à développer des compétences numériques dans des secteurs clés.
Par exemple, nous allons former dans les métiers les plus recherchés à l’international, comme DevOps, Fullstack et Scrum Manager, des métiers extrêmement prisés à l’échelle mondiale. Nous investirons dans le contenu pédagogique adapté à ces métiers.
L’objectif est de fournir non seulement l’infrastructure nécessaire à la formation, mais aussi de garantir que le contenu soit en adéquation avec les besoins des entreprises à l’échelle internationale. Ainsi, nous visons à faire de Madagascar un centre de formation numérique exportable. De plus, pour les jeunes qui ne souhaitent pas suivre une formation longue à l’université, nous offrirons des formations courtes, ciblées sur des périodes de 6 à 18 mois, leur permettant d’obtenir un diplôme qui leur assurera une vie décente dans le secteur numérique.
Qu’avez-vous pensé du MWC25?
C’est un rendez-vous que Madagascar ne doit pas manquer. Il faut absolument que Madagascar parle de ses magnifiques opportunités numériques et surtout, qu’elle exprime sa volonté de s’allier à des partenariats comme Smart Africa ou l’Union européenne, et même aux puissances mondiales. Car il y a tellement de choses à apprendre et ça va très, très vite.
On ne peut pas développer les TIC (Technologie de l’Information et de la Communication) seul en tant que pays. Il faut vraiment une coopération à l’échelle transnationale, continentale, voire planétaire. Il est essentiel de continuer à faire parler de Madagascar, non seulement pour solliciter l’aide des partenaires techniques et financiers, mais aussi pour promouvoir les avantages de faire de Madagascar une destination numérique, grâce à sa population jeune, et à ses infrastructures déjà très stables.
Il y a eu d’énormes progrès dans le secteur des TIC. Nous avons également le BPO (Business Process Outsourcing) avec les call centers, qui sont très enthousiastes à l’idée d’utiliser la langue française pour s’implanter dans notre pays.
Nous allons continuer à investir dans l’intelligence artificielle et dans les modèles multilingues pour aller encore plus loin. C’est ce que nous allons faire, transformer Madagascar en un pays où l’on a envie de venir investir dans le numérique.
Propos recueillis par V R