Un hameau de « tavystes » dans la grande forêt de l’Est. |
Mot bien connu de longue date à Madagascar, le « tavy » est déjà cité dans le Code des 305 articles de Ranavalona II. Bien qu’elle vive sur les Plateaux merina très dénudés, la reine est parfaitement renseignée sur la grande forêt de la côte orientale. D’ailleurs, elle s’y intéresse aussi tout spécialement, car elle y puise les bois rares, ébène, bois de rose, palissandre, qui lui servent de monnaie d’échange ou de présents à faire à d’autres monarques.
Selon A. Kienner, ingénieur principal des eaux et forêts, le « tavy » est une expression générale pour désigner « la destruction de la forêt primaire par abattage suivi de brûlis en vue de la culture du sol ». Les anciens gouverneurs merina l’introduisent par la suite dans les zones côtières. Néanmoins, celles-ci utilisent également d’autres termes.
Ainsi, les Betsimisaraka emploient aussi le mot «teviala », couper ou défricher la forêt, mais aussi « kapakapa » pour désigner la destruction de forêt secondaire suivie de brûlis en vue de la culture du sol. Les Tanala, eux, parlent de « haoka » à la place de « kapakapa ».
Certaines zones du bush du Sud, notamment la forêt des Mikea, sont « littéralement saccagées » par les « tetika » en vue de la culture du maïs ou du sorgho. C’est-à-dire que les arbres sont ébranchés et l’on cultive au milieu « des troncs encore debout et calcinés ».
D’autres expressions sont utilisées pour traduire l’ensemble du procédé. Le « jinja » est, par exemple, l’emplacement d’un ancien «tavy » ou d’un « kapakapa ». C’est là que se font les cultures et seuls les héritiers ont le droit de le cultiver. « En Imerina, cet emplacement héréditaire est appelé ‘solompangady’. »
Enfin, il y a le mot « savoka », forêt secondaire qui repousse après le « tavy » ou après le « kapakapa » lui-même. D’après A. Kienner, il existe différents types de « savoka ». Il y a ceux à essence pure et ceux à plusieurs essences, mais dont l’une est plus ou moins dominante. Et suivant les âges, la « savoka » prend les noms (betsimisaraka) de « matrangy » (« savoka » jeune d’un an), de « savoka tanora », jeune de 2 à 5 ans, « savoka mody » ou d’âge moyen de 5 à 10 ans, et « savoka antitra », vieille de plus de 10 ans.
Pratiquer le « tavy » s’accompagne de tout un rituel dans tout village betsimisaraka. Cela commence par l’interrogation des esprits par les graines (« sikidy ») et le devin (« ampisikidy ») sera souvent le premier personnage important interrogé pour le choix du « jinja ». Les graines, suivant leur disposition (« asimbola » ou « tareky »), après avoir été agitées et disposées en deux tas, permettent au devin de traduire l’oracle à partir de quelques-uns des seize mots conventionnels du « sikidy ».
A. Kienner cite un exemple simple : avec « tale » (homme), « fahasivy » (eau), « fahatelo » (pierre), « safary » (chemin), « bilady » (terre), « zanahary » (divinité), le devin interprète : « Le chef de la famille doit longer la rivière (qui traverse le village) jusqu’à ce qu’il arrive à un endroit très rocheux, d’où il reprendra un chemin voisin qui le mène à la terre que lui aura désignée la divinité. »
Et pour que le « tavy » projeté réussisse pleinement, l’« ampisikidy » donne au chef de la famille venu le consulter, un « aody vary », talisman infaillible. Il lui précise, en même temps, plusieurs « fady » qu’il y aura lieu de respecter au cours des semailles et de la récolte ultérieure.
« Dans cette vaste forêt de l’Est, pleine de mystères, pleine d’esprits à ménager (les « lolo » ou « biby »), mais qui renferme aussi les charmantes « zazavavindrano », ces petites nymphes des eaux que chaque Betsimisaraka a cru entrevoir au temps de son enfance, il est tout à fait normal que le « tavy » fasse toujours l’objet de coutumes ancestrales qui conditionnent favorablement à la fois les travaux et sa réussite. »
S’ensuit alors une grande fête rituelle avec les incantations traditionnelles au Zanahary et aux ancêtres. Car ces derniers qui ont, eux aussi, fait tomber les arbres, doivent comprendre que le « simbon-tranony » (robe de la maison des ancêtres) un peu malmené, repoussera vite après l’abandon des cultures .
C’est une fête bruyante et joyeuse où la « betsabetsa » (jus de canne fermenté) et l’« ilaimadio » (alcool de tous fruits : oranges, bananes, mangues, letchis…) coulent à flots et où la musique de l’accordéon et des « antsodina » (flûtes) fait souvent passer à la famille, aux voisins et aux amis plusieurs journées et plusieurs nuits de liesse. « Les ancêtres satisfaits, la famille va commencer à défricher. »
Pela Ravalitera